Au cœur d’un automne politique déjà chargé, une voix s’élève, plus forte, plus claire, plus accusatrice que jamais. C’est celle de Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la Culture, qui, à travers son nouveau livre “Une omerta française” et une interview sans concession sur le plateau de “Sept à Huit”, a jeté un pavé dans la mare, ou plutôt un rocher dans l’océan déjà agité de la politique française. Sa cible ? François Bayrou, le Premier ministre, qu’elle accuse d’avoir eu connaissance des violences systémiques perpétrées pendant des décennies au sein de l’institution religieuse Notre-Dame de Bétharram. Une accusation d’une gravité exceptionnelle qui, au-delà du duel entre deux personnalités politiques de premier plan, met en lumière une réalité glaçante : le poids du silence, de l’omerta, face aux souffrances des enfants.

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L’affaire Bétharram, c’est l’histoire d’un cauchemar qui a duré plus d’un demi-siècle. De 1950 à 2013, des centaines d’élèves de cette institution catholique des Pyrénées-Atlantiques auraient subi des violences physiques, psychologiques et sexuelles. Plus de 200 plaintes ont été déposées, dessinant les contours d’un système de prédation et de brutalité organisé, à l’abri des regards et des consciences. Des témoignages font état de “tabassages en série”, de “visages ensanglantés”, de “coups très violents”, “d’étranglements jusqu’à l’évanouissement”, mais aussi d’agressions sexuelles, de viols, commis par des prêtres, des surveillants, des membres du personnel. Un “repaire idéal pour les pédophiles”, selon les mots d’une victime, où “tous les pères directeurs qui se sont succédé dans les années 80-90 étaient des agresseurs sexuels”.

Face à l’horreur, le silence. Un silence assourdissant, complice, qui a permis à ce système de perdurer pendant des décennies. C’est ce silence que Roselyne Bachelot a décidé de briser avec une force fracassante. “Ce qui me trouble, ce sont les fluctuations de ses déclarations. Il savait, mais il n’y croyait pas”, a-t-elle déclaré à propos de François Bayrou. Pour elle, le Premier ministre incarne cette “France qui refuse encore de voir la réalité des violences faites aux enfants”. Une France de l’entre-soi, de la protection des institutions au détriment des individus, une France où la parole des victimes peine encore à être entendue.

Les accusations de l’ancienne ministre ne sortent pas de nulle part. Elles s’appuient notamment sur une enquête fouillée de Mediapart, qui a révélé que François Bayrou, alors ministre de l’Éducation nationale et président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques, aurait été informé des abus dès les années 90. Le média en ligne a exhumé des archives, des témoignages, qui contredisent la ligne de défense du Premier ministre, qui a toujours affirmé n’avoir jamais été mis au courant de la gravité des faits. Pire, il est soupçonné d’être intervenu pour étouffer l’affaire, pour protéger l’institution.

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La position de François Bayrou est d’autant plus délicate que le scandale a pris une tournure personnelle, intime, tragique. Sa propre fille, Hélène Perlant, a récemment révélé avoir été victime de violences physiques lors d’un camp d’été organisé par l’établissement. Un témoignage courageux, qui a ému la France entière et a rendu la défense du Premier ministre encore plus inaudible. Comment peut-il affirmer n’avoir rien su, alors que le cauchemar se déroulait si près de lui, touchant sa propre chair ? Hélène Perlant a déclaré avoir gardé le silence pendant plus de 30 ans pour “protéger” son père des “coups politiques”. Une déclaration qui, si elle témoigne d’un amour filial indéfectible, n’en est pas moins un terrible aveu de l’emprise de l’omerta.

Aujourd’hui, François Bayrou est un homme acculé. Affaibli par les révélations, mis en cause par une commission d’enquête parlementaire, il se défend bec et ongles, crie au complot, à la machination politique. Mais sa parole peine à convaincre. Chaque jour qui passe apporte son lot de nouvelles révélations, de nouveaux témoignages, qui viennent un peu plus écorner son image d’homme d’État intègre. L’affaire Bétharram est devenue l’affaire Bayrou, et elle pourrait bien sonner le glas de sa carrière politique.

Mais au-delà du sort d’un homme, c’est toute une société qui est aujourd’hui confrontée à ses démons. L’affaire Bétharram, comme d’autres avant elle, révèle les failles béantes de notre système de protection de l’enfance, la complaisance, voire la complicité, de certaines institutions, et la difficulté pour les victimes de se faire entendre et reconnaître. Le cri de Roselyne Bachelot, aussi politique soit-il, a le mérite de poser les bonnes questions. Allons-nous enfin avoir le courage de regarder en face cette “omerta française” ? Allons-nous enfin écouter la parole des victimes et leur rendre justice ? L’avenir de notre société en dépend. Le silence n’est plus une option.