L’arène politique moderne, et plus particulièrement le plateau de BFM TV, est devenue un champ de bataille où les mots sont des armes, et les archives, des mines antipersonnel. Un récent échange tendu entre le journaliste Benjamin Duhamel et le président du Rassemblement National, Jordan Bardella, en est l’illustration parfaite. Ce qui devait être une confrontation classique, un “piège” journalistique sur le passé encombrant du parti, s’est transformé en une démonstration de contre-attaque politique, une technique de “l’arroseur arrosé” désormais maîtrisée à la perfection par la nouvelle garde du RN.

Le décor est planté. Le journaliste, fidèle à son rôle, tente de coincer son invité sur un terrain qu’il sait glissant : l’héritage de Jean-Marie Le Pen. L’attaque est décrite comme “directe, précise, et sur un sujet très sensible”. C’est le piège attendu, la question que chaque cadre du RN redoute et prépare, celle qui vise à rappeler les “heures sombres” et les dérapages antisémites du fondateur. L’objectif est simple : forcer Bardella à se défendre, à se justifier, à se dissocier une fois de plus, et par là même, à perdre l’avantage offensif qu’il cherche constamment à imposer.

Mais le Jordan Bardella de 2025 n’est plus un jeune espoir qui tombe dans les panneaux. “Bardella ne tombe pas dans le piège”, nous dit le commentateur. Au lieu de la défensive attendue, il choisit l’offensive totale. Il ne se défend pas, il “contre-attaque sur le même terrain : l’histoire”.

Sa cible ? Non plus le journaliste, mais l’histoire de la gauche française elle-même. “Il ne vise plus le journaliste mais le Parti socialiste en exhumant le passé de François Mitterrand et son lien avec le maréchal Pétain.” La réplique est brutale. En une phrase, Bardella renvoie son interlocuteur à un autre passé, tout aussi sensible et souvent méconnu du grand public : celui de l’ancien président socialiste, décoré de la Francisque. Le message sous-jacent est clair : “Vous voulez parler des fantômes du passé ? Parlons des vôtres.”

Le piège, méticuleusement tendu par Duhamel, vient de se retourner avec une violence inouïe. Le journaliste, qui pensait tenir son “client” en difficulté, se retrouve lui-même déstabilisé, “déjà KO”. L’effet est immédiat : la discussion ne porte plus sur le RN. Elle a été déviée.

Et Bardella ne s’arrête pas là. Une fois l’adversaire sonné, il “change de cible et lance une deuxième roquette”. Cette fois, sur Jean-Luc Mélenchon et La France Insoumise, les accusant de “complaisance”. En moins de deux minutes, la stratégie est payante. Le passé du RN a été “oublié”. Le débat porte désormais sur le passé du PS et les positions de LFI. C’est un cas d’école de “judo” politique : utiliser la force de l’attaque de l’adversaire pour le mettre au tapis. Échec et mat.

Mais cet extrait ne se contente pas de montrer un simple tacticien politique. Il révèle également la rhétorique de fond, la vision du monde que ces tactiques servent à promouvoir. Une autre séquence, d’une dureté frappante, vient éclairer l’idéologie derrière le stratège. Bardella y évoque les “Français de papier”, une expression qui a elle-même une histoire chargée, pour décrire une partie de la population.

Selon lui, il s’agit de “gens qui sont aujourd’hui sur notre sol qui veulent tuer des blancs, qui détestent la France, qui détestent les Français”. La charge est d’une violence rare, évoquant une fracture raciale et civilisationnelle. Il ne s’arrête pas là, les décrivant comme “des multirécidivistes, des multicondamnés qui vivent d’ailleurs au crochet du contribuable”.

Le journaliste tente de recadrer le débat en suggérant qu’il s’agit “d’un sujet d’intégration plus que d’immigration”. Bardella balaie l’argument : “Bah non, c’est aussi un sujet d’immigration parce que, excusez-moi, mais manifestement ces jeunes sont d’origine immigrée. Parce que s’ils veulent tuer du blanc, c’est que j’en conclus qu’ils ne sont pas blancs.” Le raisonnement, binaire et racialisant, est assumé.

Cette séquence, mise en parallèle avec le clash Duhamel/Mitterrand, est révélatrice. La stratégie du RN n’est plus seulement de se “dédiaboliser” en se défendant mollement du passé. Elle est de “ré-diaboliser” ses adversaires en utilisant leurs propres failles historiques, tout en assumant en parallèle un discours d’une radicalité décomplexée sur l’immigration et la sécurité, qui était autrefois l’apanage de l’extrême droite la plus dure.

Le clip s’achève sur une note énigmatique, évoquant “le ring de Marion Maréchal”, où il n’y a “pas de gant, juste des K.O.”. Si le lien direct n’est pas explicite, la métaphore est claire. La politique est devenue un combat de rue. Marion Maréchal, tout comme Jordan Bardella, incarne cette nouvelle génération qui a abandonné les gants de la bienséance politique pour la frappe directe, le K.O. médiatique.

La vraie leçon de cet échange n’est pas seulement que Bardella sait se défendre. C’est qu’il a compris que pour gagner, il ne doit plus se contenter de parer les coups sur son passé, mais en porter de nouveaux sur le passé des autres. En exhumant Mitterrand et Pétain face à Duhamel, il n’a pas seulement esquivé une balle ; il a montré qu’il était prêt à utiliser le même arsenal historique que ses détracteurs, transformant le “piège” en un simple “échec et mat”.