Imaginez la scène. C’est votre premier jour dans l’un des postes les plus puissants de la République. Vous êtes nommé ministre de l’Économie, au cœur du réacteur de Bercy, prêt à servir votre pays. Vous vous attendez à des dossiers complexes, à des nuits blanches, à une pression intense. Mais ce à quoi vous ne vous attendez pas, c’est à la phrase que le plus haut fonctionnaire de votre administration, le directeur du Trésor, vous lance en guise de bienvenue.

“Bon, à partir de maintenant, on va se mentir.”

Non, ce n’est pas le dialogue d’un film de gangsters, ni une blague de mauvais goût. C’est la réalité brutale, la confession CHOC qu’Arnaud Montebourg a livrée lors d’une audition explosive au Sénat. Une phrase qui, à elle seule, résume le combat de l’ex-ministre contre ce qu’il décrit comme un système opaque, déloyal et fondamentalement conçu pour tromper le pouvoir politique.

Dans un discours d’une franchise décapante, Arnaud Montebourg a “balancé tout”, dépeignant son passage à Bercy non pas comme une simple gestion ministérielle, mais comme une véritable guérilla interne. “Vous avez le directeur du Trésor qui arrive, il dit : ‘Voilà, je vous donne la note de conjoncture de la situation réelle de l’économie française.’ Et il ajoute avec un sourire : ‘Ce sera la dernière fois qu’elle sera sincère.’”

Dès le premier jour, le ton est donné. Le ministre est prévenu : l’administration qu’il est censé diriger ne jouera pas franc-jeu avec lui. Le mensonge n’est pas un accident, il est une culture, un outil de pouvoir de la “technocratie” pour garder le contrôle face aux élus.

Face à ce mur d’opacité, quelle solution ? La méthode Montebourg est simple, directe, et elle porte un nom : “le Kärcher”. L’ancien ministre l’affirme sans détour : pour faire fonctionner la machine, il faut la purger. “On construit une administration sincère, dévouée, loyale. Donc, il faut virer des gens. Oui.”

Il ne s’agit pas d’une simple formule. Montebourg raconte comment il a dû se transformer en détective au sein de son propre ministère, déployant des “espions du budget” pour traquer les dissimulations. “Moi, j’ai découvert un directeur d’administration centrale qui m’a caché 30 millions de son budget. J’ai envoyé un conseiller budgétaire, qui était meilleur que lui sur le budget, pour le débusquer.”

Il décrit un système où les fonctionnaires qu’il tente d’écarter pour leur manque de loyauté (“plus ou moins d’accord ou propre”) finissent toujours par revenir “par la porte, par la fenêtre”, tentant d’obtenir par la ruse des nominations qu’il leur refuse. C’est un combat permanent, épuisant, contre ce qu’il appelle “les dragons à cravate de la finance” et de la haute administration.

Mais le mensonge d’État n’est que la première partie de la bombe lâchée par Montebourg. La seconde est peut-être encore plus scandaleuse, car elle touche directement à la manière dont l’argent public est distribué, ou plutôt, pillé.

L’ancien ministre introduit un nouveau personnage dans son “western” politique : le “consultant en costume”. Un “cowboy des temps modernes”, dont le “pistolet est son PowerPoint” et la “cible, l’argent public”. Et visiblement, “il vise très bien.”

Montebourg dénonce avec une colère froide l’émergence de ce qu’il nomme des “chasseurs de prime d’argent public”. Qui sont-ils ? Des cabinets de conseil privés, dont le nouveau business est d’aider les entreprises à obtenir des aides publiques, des subventions, des appels d’offres. Le problème ? Leur rémunération.

“Un chef d’entreprise, il n’a pas le temps de faire la paperasse, ses appels d’offres pour la BPI, pour le ceci, pour le cela… Donc il le confie à des cabinets,” explique-t-il. “Ces cabinets se rémunèrent au bas mot à 20 %, 30 % !”.

Le chiffre est hallucinant. Pour chaque 100 000 euros d’aide publique qu’une entreprise reçoit, un intermédiaire privé en empoche 20 000 ou 30 000. De l’argent public qui était destiné à l’investissement, à l’emploi, à l’innovation, et qui est “capturé” par des “cowboys” qui n’ont fait que remplir des formulaires. Montebourg confirme être lui-même, via ses propres activités, “en conflit devant le tribunal avec l’un d’entre eux”.

Pour l’ex-ministre, ces consultants sont “les nouveaux agents immobiliers”. Une comparaison cinglante qui lui sert à proposer une solution tout aussi directe. Il rappelle la loi Duflot, qui est venue plafonner les frais d’agence immobilière, et demande la même chose pour ces “chasseurs de prime”. “Je voudrais qu’il y ait un amendement qui cape ou qui aligne leur rémunération. […] Faites ça, ils arrêteront de capturer de l’argent public !”

Le discours est terminé. Le silence qui suit est lourd. Arnaud Montebourg vient de décrire une République où le mensonge est institutionnalisé au sommet de l’État et où l’argent public est la proie de “chasseurs de prime” en costume-cravate. Sa conclusion est une morale amère : “Pour survivre en politique, il faut savoir se battre.”

Cette confession tardive n’est pas seulement un règlement de comptes. C’est un avertissement. C’est le témoignage d’un homme qui a vu l’envers du décor et qui a décidé, enfin, de “balancer tout”. L’histoire d’Arnaud au pays des technocrates est une fable cruelle sur la réalité du pouvoir, un conte moderne où les dragons portent des cravates et où les “cowboys” tirent plus vite que leur ombre sur les lignes budgétaires. Le public est prévenu.