Le monde médiatique et politique est en ébullition, mais les véritables secousses ne sont pas toujours celles que l’on vous montre en boucle sur les chaînes d’information. La mort de Thierry Ardisson, figure iconique et controversée, a ouvert une boîte de Pandore, révélant des tensions bien plus profondes qui lézardent la société française. Entre l’éloge funèbre au vitriol de Dieudonné, les accusations de “haute trahison” visant l’imam Chalghoumi et la montée en puissance d’un organisme de censure financé par l’État, une image troublante se dessine : celle d’un système à deux vitesses, où certaines voix sont étouffées pendant que d’autres sont promues.

Commençons par le fantôme de l’homme en noir. La réaction de Dieudonné à la mort de Thierry Ardisson n’a surpris personne par sa virulence, mais elle frappe par sa précision psychologique. Qualifiant l’animateur de “pute du showbiness” et d’”assez prétentieux”, Dieudonné dépeint un homme “très lâche”, rongé par une culpabilité historique. “Il était obsédé par ces sujets : les juifs, la déportation, la collaboration… comme s’il avait à se faire pardonner d’une participation directe”, analyse-t-il. Une obsession qui, selon lui, le poussait à vouloir “transmettre cette culpabilité française aux jeunes générations”.

Mais cet Ardisson, obsédé par la repentance, n’est qu’une facette du personnage. Une archive explosive, refaisant surface, nous montre un tout autre visage. On y voit l’animateur, incisif, confronter un porte-parole de l’armée israélienne. Sans détour, Ardisson parle de l’extension des colonies en Cisjordanie comme d’un “paradoxe” qui “coupe en deux la Palestine”. Il assène alors le mot tabou : “Vous comprenez qu’ici ça nous choque quand on entend le mot ‘colonisation’. […] On trouve ça anachronique”. Une humiliation en direct qui tranche radicalement avec l’image de l’homme soumis au système que décrit Dieudonné.

Alors, qui était vraiment Ardisson ? Un résistant ou un rouage ? Une autre séquence, plus récente, le montre en guerre ouverte contre Cyril Hanouna. Le ton n’est plus à l’analyse géopolitique, mais à l’insulte pure. Ardisson traite Hanouna de “racaille inculte”, de “type qui n’a aucune éducation” et dénonce son “côté mafieux”. Il se positionne même en “résistant” face au “groupe Bolloré”, et assume de traiter les deux millions de téléspectateurs de TPMP de “cons”, de “têtes pleines d’eau”. Ardisson, le justicier anti-Hanouna, semble avoir oublié sa propre complaisance passée.

Pendant que ces titans médiatiques s’écharpent, la réalité, elle, est bien plus tragique et bien moins couverte. Le 14 juillet, jour de la mort d’Ardisson, est aussi une date anniversaire tragique : celle de la mort de la mère de Hanan, fauchée à Nice neuf ans plus tôt. “Elle était musulmane, française, mère, femme libre et pourtant sa mort n’a pas empêché la stigmatisation des siens”, témoigne-t-elle. Cette stigmatisation prend des formes mortelles. En Allemagne, une jeune infirmière algérienne de 26 ans, Rahma Ayet, a été poignardée à mort. Le suspect ? Un voisin décrit comme “violent et harceleur”, qui la ciblait, selon ses proches, à cause de son hijab. Un “féminicide islamophobe” qui fait écho à une ambiance délétère, loin des plateaux parisiens.

Ce climat de haine est couplé à une volonté féroce de faire taire les voix dissidentes, notamment sur la question palestinienne. La journaliste Charlotte Vautier en a fait l’amère expérience. Elle raconte avoir reçu des menaces directes après ses reportages sur Gaza. Un individu l’a d’abord piégée en se faisant passer pour l’Assurance Maladie pour confirmer son adresse, avant de la rappeler en hurlant : “Ouais Charlotte Vautier, on sait où tu es, on va te retrouver. On a vu tes réels sur Gaza, tu mets en danger les juifs et les chrétiens de Jérusalem”. L’agresseur s’est même présenté comme un “prêtre à Jérusalem”.

Vidéo : Thierry Ardisson dézingue Cyril Hanouna : une chroniqueuse de TPMP  lâche C8 - PureBreak

Cette intimidation des journalistes indépendants contraste violemment avec le traitement réservé à d’autres figures. Prenons l’imam Hassen Chalghoumi. Une association tunisienne a officiellement porté plainte contre lui pour “haute trahison” suite à sa visite en Israël. On lui reproche son “soutien au gouvernement israélien”, sa critique de la “résistance palestinienne” et d’avoir “cherché à embrasser la main du ministre israélien de l’Intérieur”. L’organisation demande la déchéance de sa nationalité tunisienne et des poursuites devant la justice militaire. Il est qualifié d’”escroc sioniste”, d’”agent sioniste” et même de “recruté par le Mossade”.

Et pendant que Chalghoumi est accusé de trahison et que des journalistes sont menacés, qui obtient les faveurs de l’État français ? Le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions juives de France). La ministre Aurore Bergé a confirmé que ce lobby est non seulement “financé par l’argent public des Français”, mais qu’elle a décidé de lui “allouer un budget supplémentaire”. L’objectif ? Recruter des “signaleurs de confiance” de l’ARCOM pour “retirer des contenus… beaucoup plus rapidement”.

Le média en ligne Blast a qualifié cette décision de scandaleuse, décrivant le CRIF comme une “organisation religieuse alignée sur la position du gouvernement d’extrême droite génocidaire d’Israël”. Une accusation qui ne semble pas gêner le directeur exécutif du CRIF, Robert Ejnes, qui confirme : “Soutenir l’idée d’Israël… soutenir l’État d’Israël… c’est dans l’ADN du CRIF, c’est dans les missions du CRIF”.

Thierry Ardisson : "J'étais ni con, ni macho, j'étais Thierry Ardisson" |  France Inter

Le tableau est complet et terrifiant. D’un côté, un assassinat islamophobe en Allemagne, un élu (Meyer Habib) qui traite les réfugiés gazaouis “d’assassins”, et des journalistes menacés de mort pour avoir montré les bombardements sur des civils. De l’autre, un imam accusé de “haute trahison” pour sa collaboration, et un lobby pro-israélien financé par l’argent public pour surveiller et censurer la parole en ligne.

Comme le résume la journaliste Odon Lancelin, “80% des médias aujourd’hui fabriquent l’opinion”. “Toute opinion autre est extrémiste, complotiste, ridiculisée, présentée comme dangereuse”. La mort d’Ardisson n’est que le symptôme. La véritable maladie est ce système de “paix armée”, de silences complices et de vérités étouffées. La question que posait un témoin à Gaza résonne alors pour nous tous : “Vous le saviez et vous n’avez rien fait”.