Le 30 avril 2019, une icône s’éteignait. Anémone, de son vrai nom Anne Bourguignon, nous quittait à 68 ans, emportée par un cancer du poumon. Pour des millions de Français, elle resterait à jamais Thérèse, la bénévole coincée de “SOS Détresse Amitié” dans le chef-d’œuvre culte “Le Père Noël est une ordure”. Son visage, sa voix, ses mimiques font partie de notre patrimoine comique. On l’imaginait immortelle, ou du moins, éternellement entourée de cette “troupe” qui avait défini sa carrière : Le Splendid.

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Pourtant, la réalité de sa mort est à l’opposé de l’image de camaraderie et de “fous rires exceptionnels” que l’on associe à cette époque. Anémone est partie comme elle a vécu ses dernières années : seule, dans une quasi-indifférence d’un milieu qu’elle avait appris à mépriser. La nouvelle de sa mort a bien sûr provoqué les réactions attendues. Des hommages polis, presque obligatoires. Marianne Chazel, sa partenaire de gags, a salué une femme “rebelle, révoltée” mais dotée d’un “talent fou”. Christian Clavier, lui, a fait part de sa “très grande tristesse” et s’est remémoré des “moments de jeu et de fous rires exceptionnels”. Des mots justes, touchants, qui laissaient présager un adieu respectueux, une trêve finale face à la mort.

Car il était de notoriété publique qu’Anémone était “brouillée” avec la troupe du Splendid depuis des décennies. L’actrice, connue pour son franc-parler dévastateur, n’avait jamais caché les raisons de cette rupture : “des histoires apparemment d’argent”, des désaccords profonds sur le partage des bénéfices de leurs succès communs. Une blessure jamais refermée, une rancune tenace.

Mais face à la mort, on imagine les rancœurs s’apaiser. On s’attend à ce que les anciens compagnons de route, ceux avec qui on a partagé des “fous rires exceptionnels”, se réunissent une dernière fois. Pour l’honneur. Pour le souvenir. Pour Thérèse.

L’onde de choc est venue non pas de sa mort, mais de ses funérailles. Le jeudi 9 mai 2019, au crématorium de Poitiers, la cérémonie s’est déroulée. Le magazine Ici Paris a décrit un événement en “très petit comité”. L’actrice aux millions d’entrées, la star césarisée, a été inhumée “sans people”. Cette absence du “showbiz”, Anémone l’aurait sans doute appréciée, elle qui avait coupé les ponts avec ce milieu, affirmant qu’il n’avait “jamais vraiment été sa tasse de thé”. Elle ne courait plus après “ces gens qui lui avaient tourné le dos”.

Mais ce qui glace le sang, c’est ce détail, cette réalité brutale : pas un seul membre du Splendid n’était présent. Ni Clavier, ni Chazel, ni Balasko, ni Jugnot, ni Lhermitte. Personne. Les déclarations de “grande tristesse” se sont arrêtées aux portes des journaux. Aucun d’entre eux n’a fait le déplacement à Poitiers pour ce dernier hommage. L’abandon était total.

Anémone est donc partie seule ? Pas tout à fait. Dans cette assemblée clairsemée, où manquaient tous les visages de sa gloire passée, se tenait une femme. Une seule personnalité du cinéma avait répondu présent. Une seule amie avait traversé la France pour lui dire adieu : la réalisatrice Tonie Marshall.

Cette présence unique est d’une puissance symbolique bouleversante. Tonie Marshall n’était pas une amie de quarante ans, pas une membre de la “troupe” originelle. Elle était son amie depuis “seulement” seize ans, l’ayant dirigée dans le film “Enfant de salaud” en 1996. Mais sa loyauté, elle, était entière. Elle n’a pas seulement fait acte de présence ; elle a pris la parole.

Devant le cercueil de son amie, Tonie Marshall a livré un vibrant hommage, brossant le portrait d’une femme bien loin de l’image publique. Oubliez la Thérèse coincée ou la rebelle bougonne des interviews. La réalisatrice a parlé de sa “meilleure amie”, allant jusqu’à la qualifier de “premier amour”. Elle a décrit une Anémone “extravertie, engagée et insoumise”. Des mots forts, qui résonnent comme la véritable épitaphe de l’actrice. “Insoumise”, elle l’a été jusqu’au bout. Insoumise face à un système qu’elle jugeait hypocrite. Insoumise face à d’anciens amis qu’elle accusait d’ingratitude. Engagée, elle l’était dans ses choix de vie, retirée à la campagne, loin du faste et des faux-semblants.

Cette femme “extravertie”, que seule son amie voyait encore, avait choisi la solitude plutôt que la compromission. Le fait que le Splendid, cette troupe devenue un symbole de réussite financière et de comédie populaire, soit collectivement absent en dit long sur la profondeur de la rupture, mais aussi sur le fossé qui s’était creusé entre leur monde et le sien. Eux étaient devenus des piliers du système. Elle en était devenue l’ermite la plus critique.

La mort d’Anémone révèle cette vérité crue : dans le monde du “showbiz”, les “fous rires exceptionnels” s’achètent peut-être, mais la loyauté, elle, est une denrée rare. Anémone, la “rebelle”, avait choisi son camp : celui de l’intégrité, quitte à en payer le prix fort, celui de l’isolement.

L’histoire se termine par une note d’une tristesse infinie, comme un dernier acte scellant cette amitié unique. Très peu de temps après avoir enterré celle qu’elle appelait son “premier amour”, Tonie Marshall s’en est allée à son tour. La seule personne du métier qui avait honoré la mémoire d’Anémone l’a rejointe.

Aujourd’hui, il nous reste les films, les répliques cultes, les rires. Mais il nous reste aussi cette image d’une fin de vie solitaire, d’un crématorium à Poitiers, et d’une seule amie venue pleurer une femme “insoumise” que tous les autres avaient déjà oubliée.