Il y a des soirées politiques qui marquent par leur intensité, la force de leurs arguments ou la vision qu’elles dessinent pour l’avenir. Et puis, il y a des soirées qui virent à la “comédie”. C’est ce spectacle inattendu, une pièce de théâtre absurde en plusieurs actes, qui a été offert aux téléspectateurs lors du récent grand débat de Marine Le Pen. Face à des questions persistantes, ce qui devait être un échange démocratique s’est transformé en une démonstration fascinante de boucles robotiques, d’activation de “pilote automatique” et “d’erreurs système” pures et simples, laissant le public et les journalistes médusés.

Bienvenue dans l’analyse de ce qui restera, selon les propres termes d’une analyse satirique, un “cirque”.

Acte 1 : La Boucle du “Quel Racisme ?”

Tout commence par une “question existentielle”, comme le veut le genre. Une journaliste, faisant son travail, pose la question qui hante le parti depuis des décennies : “alors le racisme, on en parle ?”. C’est une interrogation légitime, une attente naturelle du public de voir la candidate s’expliquer sur le caractère “discriminatoire ou raciste” de sa politique.

La réponse ne se fait pas attendre. Mais ce n’est pas une réponse. C’est un bug. Un disque rayé.

“Quel racisme ? Expliquez-moi parce que je n’arrive pas à comprendre”. La journaliste tente de reformuler, mais le script de la candidate semble bloqué sur une seule et même ligne de code. La question est reposée, poliment, et la réponse fuse, identique, mécanique : “quel racisme y a-t-il dans cette politique ? Quel est le racisme ?”.

La scène est lunaire. À chaque tentative de la journaliste de recentrer le débat sur le fond, elle se heurte au même mur sémantique. “Là je vous… je n’arrive même pas à comprendre”. Ce n’est plus une stratégie de défense, c’est une boucle de déni. Le mot “racisme” lui-même semble avoir été mis en quarantaine par son système d’exploitation. En refusant de comprendre la question, elle la rend inopérante. C’est la première “erreur système” de la soirée : face à un terme sensible, le programme ne répond plus et demande à l’utilisateur de “réexpliquer”, encore et encore, jusqu’à l’épuisement.

Acte 2 : “Activation du Mode Pilote Automatique”

Voyant le blocage, la journaliste tente une autre approche. Elle évoque l’héritage familial, citant son père et sa nièce, demandant si ce “filon là” n’est pas “le socle de votre politique”. C’est un mot-clé. Le système, bloqué sur la question précédente, trouve enfin une porte de sortie. “Activation du mode pilote automatique”.

Ce qui suit est une merveille de communication pré-enregistrée. Tel un “podcast”, Marine Le Pen se lance dans une tirade parfaitement maîtrisée, mais totalement déconnectée de la question initiale sur le “socle” de sa politique. Elle déroule, imperturbable, l’histoire de France vue par son parti, chapitre 1 : les années 70.

“Dans les années 70, le grand patronat français a fait appel à l’immigration…”. Le ton est posé, presque professoral. Elle parle de “peser à la baisse sur les salaires”, de “main d’œuvre à Bakou” (une référence géographique pour le moins surprenante, peut-être un lapsus pour “bas coût” qui en dit long sur la nature récitative de l’exercice). Elle enchaîne sans respirer sur le “regroupement familial”, la “modification de cette immigration de travail en immigration d’installation”.

Le script est parfaitement huilé. Il mène inexorablement à la conclusion souhaitée : la France ne peut plus se le permettre. “Aujourd’hui nous avons 7 millions de chômeurs, 9 millions de pauvres”. La logique est implacable : le système de protection sociale (soins “gratuits”, éducation “gratuite”, logements sociaux) est financé par les “compatriotes français” et “nous ruine”.

La performance est totale. Pendant près d’une minute, la candidate a déroulé son argumentaire fétiche, ignorant la question de son père pour mieux placer son message central. C’est ce qu’elle voulait dire, que la question soit posée ou non. Le “pilote automatique” a fonctionné à merveille, offrant une réponse complète à une question qui n’existait pas.

Acte 3 : “Erreur Système 2.0” – L’Attaque des Mots

Facing Tough Odds in French Vote, Le Pen Assails Macron - The New York Times

Mais la journaliste ne s’avoue pas vaincue. Elle tente de sortir la candidate de sa zone de confort en introduisant de nouveaux termes, des mots qui ne semblent pas figurer dans la base de données de la candidate. Elle parle “d’une forme d’intolérance ou d’exclusion”.

C’est l’erreur fatale. Le système plante à nouveau. Et cette fois, la réaction est plus agressive. Ne pouvant répondre sur le fond, Marine Le Pen attaque le contenant. Elle attaque les mots eux-mêmes.

“Qu’est-ce que ça veut dire ?”. Le ton est exaspéré. “Non moi je crois qu’il faut que vous arrêtiez d’essayer de dire des trucs, ça vous fatigue déjà !”. La candidate se transforme en critique sémantique, accusant son interlocutrice d’employer du charabia. “Vous avez l’air de débiter comme ça une série de mots sans chercher même à savoir si ils correspondent à la moindre réalité”.

Cette tactique est brillante dans son absurdité. “Intolérance” ? “Exclusion” ? Des mots sans réalité. Des concepts vides. En refusant de définir ou d’accepter le vocabulaire de son adversaire, elle le neutralise. C’est une mise à jour de la boucle “Quel racisme ?” : non seulement le mot “racisme” est inconnu, mais ses synonymes et ses concepts associés sont également corrompus. Le programme refuse de les exécuter.

Acte 4 : La “Carte Joker” – L’Argument Américain

La journaliste est acculée. Son vocabulaire est obsolète. Ses questions sont des “erreurs système”. Que faire ? Elle tente une dernière fois de parler de la réalité des “immigrants qui sont chez vous et qui ne trouveraient pas d’emploi”.

C’est là que Marine Le Pen sort sa “carte joker”. L’argument ultime qui met fin à toutes les conversations. L’argument magique : et les États-Unis, alors ?

“Mais dites-moi madame, aux États-Unis…”. Le ton change, il devient triomphant. C’est le coup de grâce. “Si moi je vais aux États-Unis, il faut d’abord une carte pour avoir l’autorisation de travailler”. Elle déroule la comparaison : “à l’expiration de cette carte ou si je ne trouve pas d’emploi, est-ce que vous croyez que les Américains subviennent à mes besoins ? Sûrement pas !”.

La conclusion est un “checkmate” rhétorique. “On me renvoie dans mon pays”. Elle qualifie cette politique de “rationnelle”, “sage” et “de bon sens”. La question est implicite : pourquoi ce qui est du “bon sens” à Washington serait-il du “racisme” à Paris ?

French elections: Marine Le Pen vows to suspend immigration to 'protect  France' | The Independent | The Independent

La partie est terminée. En déplaçant le débat à l’international, elle a évité toutes les questions nationales. En utilisant l’exemple de la plus grande démocratie occidentale, elle s’offre un bouclier de légitimité. Le “bug” est résolu, la conversation est terminée.

Le “cirque”, comme le conclut l’analyse satirique, est terminé pour aujourd’hui. Les spectateurs n’ont peut-être pas eu de réponses, mais ils ont assisté à une performance remarquable. Un spectacle où le langage lui-même était l’ennemi, où le “bon sens” était une carte joker, et où le “pilote automatique” tenait lieu de programme. Une véritable comédie politique.