Il fut un temps où son nom seul suffisait à électriser les foules. Alain Delon, le Samouraï au regard d’acier, le Guépard à la beauté insolente, l’incarnation même du cinéma français. Aujourd’hui, à 88 ans, l’icône est devenue un “ange déchu”, un patriarche reclus dans son domaine de Douchy, affaibli par un AVC et prisonnier d’une guerre familiale qui déchire son héritage et sa fin de vie sous les yeux d’une France médusée. Au cœur de la tempête initiale se trouve une femme : Hiromi Rollin, la mystérieuse “dame de compagnie” japonaise, tour à tour présentée comme le dernier amour de l’acteur ou comme la manipulatrice qui a tenté de le détruire.

Mais l’affaire Hiromi Rollin, qui a éclaté à l’été 2023, n’était que le premier acte d’une tragédie moderne bien plus sombre. Une tragédie où l’amour, l’argent et la trahison s’entremêlent, laissant un géant du cinéma seul et sous protection judiciaire, tandis que ses propres enfants se livrent une bataille juridique et médiatique impitoyable.

L’énigme Hiromi Rollin : Ange gardien ou Démon ?

Pendant des années, Hiromi Rollin, une femme discrète d’une soixantaine d’années, a vécu dans l’ombre du monstre sacré. Leur rencontre remonte à 1992, sur le tournage du film “Le Retour de Casanova”, où elle officiait comme assistante réalisatrice. Au fil des décennies, elle est devenue sa régisseuse, son bras droit, puis, selon ses propres termes, sa compagne.

Après l’accident vasculaire cérébral d’Alain Delon en 2019, son rôle est devenu central. C’est elle qui veillait sur lui, qui gérait le quotidien à Douchy. Delon lui-même l’avait officiellement présentée en 2021 lors d’une interview télévisée comme sa “compagne japonaise”, la remerciant publiquement pour sa présence et son soutien indéfectible durant sa convalescence. Elle était l’ange gardien qui lui permettait de tenir debout.

Puis, le 5 juillet 2023, le coup de tonnerre. Les trois enfants de l’acteur – Anthony, Anouchka et Alain-Fabien – déposent une plainte conjointe contre Hiromi Rollin. Les accusations sont d’une gravité extrême : “harcèlement moral”, “abus de faiblesse” sur personne vulnérable, “séquestration” et même “maltraitance animale” sur Loubo, le chien adoré de l’acteur.

Le portrait dressé par le clan Delon est terrifiant. Ils décrivent une femme devenue soudainement agressive après l’AVC, une geôlière qui aurait méthodiquement isolé leur père de ses amis et de sa propre famille. Elle aurait intercepté son courrier, filtré ses appels téléphoniques, contrôlé ses moindres faits et gestes, le tout dans le but de mettre la main sur son héritage, une fortune estimée à plusieurs centaines de millions d’euros. Dans la foulée, Hiromi Rollin est expulsée sans ménagement de Douchy par les gardes du corps de l’acteur, sous les ordres des enfants.

La contre-attaque : “Une relation d’amour de 30 ans”

L’affaire aurait pu en rester là, scellant l’image d’une famille unie sauvant son patriarche des griffes d’un “vautour”. Mais Hiromi Rollin ne s’est pas laissé faire. Loin de l’image de la simple “dame de compagnie” cupide, elle a immédiatement contre-attaqué, portant plainte à son tour pour “violences” lors de son expulsion, “vol” de ses effets personnels et “dénonciation calomnieuse”.

Surtout, elle livre une version radicalement opposée. Elle clame haut et fort qu’elle n’était pas une employée, mais bien la partenaire de vie d’Alain Delon depuis trois décennies. Selon elle, les accusations des enfants ne sont qu’un complot sordide, une machination orchestrée pour la chasser et prendre le contrôle de la fortune familiale avant la mort de l’acteur.

Pendant des mois, les deux récits s’affrontent. Qui croire ? La famille éplorée ou la compagne bafouée ?

Le 4 janvier 2024, un nouveau séisme secoue l’affaire. Le parquet de Montargis annonce que les deux plaintes des enfants Delon sont “classées sans suite”. Les motifs sont dévastateurs pour le clan : les infractions sont “insuffisamment caractérisées”. En clair, la justice estime ne pas avoir assez de preuves pour poursuivre Hiromi Rollin pour harcèlement, abus de faiblesse ou séquestration. C’est une victoire immense pour la Japonaise, qui voit sa version des faits – celle du complot – soudainement renforcée. En revanche, sa propre plainte contre les enfants Delon est, elle, toujours en cours d’instruction.

La “Guerre des Delon” : Le clan implose

On aurait pu penser que cette décision judiciaire calmerait les esprits. Ce fut tout l’inverse. L’ennemi commun ayant été mis hors de cause par la justice, le front uni des enfants Delon a volé en éclats de manière spectaculaire. La “guerre contre Hiromi” s’est instantanément muée en “guerre des Delon”.

Désormais, ce sont les enfants qui se déchirent publiquement, révélant des failles béantes et des rancœurs profondes. D’un côté, les deux fils, Anthony (l’aîné) et Alain-Fabien (le benjamin). De l’autre, la fille, Anouchka, la préférée de son père, celle qu’il a désignée comme exécutrice testamentaire.

Les frères accusent leur sœur des pires maux. Ils affirment qu’Anouchka leur a caché la vérité sur l’état de santé réel de leur père, notamment des résultats de tests cognitifs attestant d’une dégradation inquiétante. Selon eux, elle aurait manipulé leur père, affaibli et vulnérable, dans un but purement financier : le transférer en Suisse, où elle réside. Pourquoi la Suisse ? Pour des raisons fiscales, clament les frères. En y mourant, Alain Delon éviterait à ses héritiers les colossaux droits de succession français.

La bataille devient sordide. Anthony multiplie les interviews chocs. Alain-Fabien publie sur Instagram un enregistrement audio de sa sœur, capté à leur insu, où on l’entend parler à son père. Anouchka, quant à elle, pleure sur les plateaux de télévision, se dit victime de ses frères, et porte plainte à son tour pour diffamation, menaces et atteinte à la vie privée.

L’ultime victime : Un géant sous protection

Et Alain Delon, dans tout ça ? L’homme pour qui tout le monde prétend se battre est le grand absent de cette cacophonie. Les expertises médicales ordonnées par la justice le décrivent comme “très affaibli”, “fatigué psychologiquement” et au discernement “aboli”.

Face à cette guerre fratricide et à l’incapacité évidente de la famille à s’entendre pour le bien-être de l’acteur, la justice a dû trancher. Fin janvier 2024, Alain Delon est placé sous “sauvegarde de justice”. Un mandataire judiciaire neutre est nommé pour l’assister dans son suivi médical et dans le choix de ses médecins.

Cette mesure s’est depuis durcie en “curatelle renforcée”. Concrètement, l’icône du cinéma est aujourd’hui un majeur protégé. Il n’a plus le contrôle direct de ses finances ni de ses décisions les plus importantes. Ce mandataire, une personne extérieure à la famille et à Hiromi Rollin, gère désormais son patrimoine et veille sur lui. C’est un désaveu terrible pour tous les protagonistes : ni les enfants ni l’ex-compagne ne sont jugés aptes à gérer la fin de vie de l’acteur.

La saga d’Alain Delon est devenue une tragédie grecque moderne. Un roi vieillissant, reclus dans son château, assiste impuissant à la curée. La femme qui se dit son dernier amour a été chassée, puis blanchie par la justice, mais reste exclue. Ses propres enfants, qu’il a tant aimés, se déchirent pour son héritage avant même sa mort.

Le Samouraï est seul, sa légende ternie par une guerre picrocholine où l’argent semble avoir éclipsé l’amour. La France, elle, observe, le cœur serré, la chute d’un de ses derniers mythes vivants, dont la dernière performance ne sera pas au cinéma, mais dans les pages sordides d’un dossier judiciaire.