C’est une histoire qui commence comme un conte de fées breton et s’achève en tragédie grecque. Alain Barrière, le poète maudit à la voix de velours, l’homme qui a fait pleurer des millions de Français avec “Ma vie” et “Elle était si jolie”, a emporté avec lui un secret terriblement lourd. Une vérité cruelle que ses proches ont choisi de taire par amour : lorsqu’il a rendu son dernier soupir, il ignorait que la femme de sa vie l’avait déjà précédé dans la tombe.

Le destin d’Alain Barrière n’a jamais été un long fleuve tranquille. C’est le récit d’une ascension fulgurante et d’une chute vertigineuse, une épopée marquée par la gloire, l’exil, la ruine et un amour inconditionnel qui aura résisté à tout, sauf à la mort elle-même.

De l’Ingénieur au Poète : Une Voix née de la Douleur

Avant d’être cette icône des années 60, Alain Bellec, de son vrai nom, était un petit gars de la Trinité-sur-Mer, orphelin de père, élevé dans la misère. Son destin semblait tracé : ingénieur. Mais la vie, ou plutôt la maladie, en a décidé autrement. Frappé par la tuberculose, enfermé un an dans un sanatorium, c’est face à la mort qu’il trouve sa voix. La guitare devient son arme, les mots son refuge.

Sa carrière explose. Il conquiert l’Olympia, l’Eurovision, l’Amérique du Sud. Il est riche, célèbre, adulé. Ses chansons, hymnes à l’amour et à la mélancolie, traversent les frontières. Mais Alain est un rebelle, un “Breton indomptable” qui refuse de se plier au star-système.

Le Rêve Maudit du Stirwen

C’est ce besoin de liberté qui causera sa perte. En 1975, au sommet de sa gloire, il se lance dans un projet fou : le “Stirwen” (“Étoile blanche” en breton). Il veut construire un temple de la fête à Carnac, un lieu magique pour les concerts et les nuits d’été. Mais le rêve vire au cauchemar.

Mal conseillé, traqué par le fisc, Alain Barrière sombre. Il doit 4,8 millions de francs. Une somme colossale qui le pousse à l’exil, aux États-Unis puis au Québec. “Ils ont foutu ma carrière en l’air”, hurlera-t-il, dénonçant une chasse à l’homme politique. L’artiste est ruiné, brisé, contraint de fuir son pays pour ne pas finir en prison.

Agnès : L’Amour plus Fort que l’Exil

Dans cette tempête, un seul phare est resté allumé : Agnès. Danseuse, mannequin, elle était sa muse, sa colonne vertébrale. Elle a tout accepté : la faillite, les huissiers, la fuite à l’autre bout du monde. Ensemble, ils ont élevé leur fille Guénaëlle, leur “miracle”.

Leur amour était passionnel, fait de disputes homériques et de réconciliations tendres. Sans elle, Alain Barrière n’aurait sans doute pas survécu à ses démons. Elle était son port d’attache, celle qui pansait les plaies de cet écorché vif.

Mort du chanteur français Alain Barrière à l'âge de 84 ans | RTS

Le Secret Final : Un Acte d’Amour Ultime

La fin de leur histoire est digne des plus grands drames romantiques. En décembre 2019, la tragédie frappe deux fois. Agnès, affaiblie par le cancer, s’éteint le 5 décembre. Mais Alain ne le saura jamais.

Hospitalisé après un quatrième AVC, le chanteur est trop faible, trop fragile. Sa fille prend alors la décision la plus difficile de sa vie : lui cacher la mort de sa mère. “Maman ne voulait pas qu’il la voie souffrir et lui était si fragile. C’était un acte d’amour”, confiera-t-elle.

Pendant 12 jours, Alain survit à sa moitié sans le savoir. Le 18 décembre, à 84 ans, son cœur s’arrête à son tour. Il s’éteint paisiblement, peut-être avec l’espoir de retrouver Agnès, ignorant qu’elle l’attendait déjà de l’autre côté.

Ils reposent aujourd’hui ensemble, dans le caveau familial de la Trinité-sur-Mer. Unis dans la mort comme ils l’ont été dans les épreuves. Alain Barrière nous laisse des mélodies éternelles, mais surtout l’histoire bouleversante d’un homme qui a payé le prix fort pour ses rêves, et qui n’a jamais cessé d’aimer jusqu’à son dernier souffle, protégé par le plus beau et le plus triste des mensonges.

Le chanteur Alain Barrière s'éteint à l'âge de 84 ans | Radio-Canada