À 89 ans, Robert Redford s’est éteint paisiblement dans son sommeil. Derrière l’image d’une légende hollywoodienne, son existence a toujours été marquée par une blessure intime : la perte tragique de sa mère, un drame dont il ne s’est jamais remis.

 

Ce mardi 16 septembre, Hollywood s’est couvert de silence. Robert Redford, acteur mythique, réalisateur visionnaire et producteur engagé, s’est éteint paisiblement dans son sommeil à l’âge de 89 ans, dans sa maison de l’Utah. La nouvelle a bouleversé le monde entier, tant il incarnait, depuis plus de soixante ans, un idéal de liberté, de beauté et de sincérité artistique. Mais derrière l’icône solaire, se cachait un homme marqué à jamais par des drames intimes, qui ont façonné son caractère et nourri son art.

 

 

Robert Redford, avec ses yeux clairs et son sourire magnétique, aura traversé l’histoire du cinéma comme peu d’artistes l’ont fait. Des classiques comme Butch Cassidy and the Sundance Kid, Out of Africa, L’Arnaque ou encore Les Trois jours du Condor demeurent gravés dans la mémoire collective. Chaque rôle semblait être le reflet d’une quête intérieure, celle d’un homme en perpétuel dialogue avec ses blessures et ses rêves. Sa carrière, récompensée par d’innombrables prix dont un Oscar du meilleur réalisateur pour Des gens comme les autres en 1981, témoigne d’une exigence rare : toujours rechercher la vérité, jamais se contenter des apparences.

 


 

 

Mais si Redford a brillé devant et derrière la caméra, il n’a jamais voulu se réduire au statut de star hollywoodienne. Sa grande œuvre parallèle reste le Festival de Sundance, fondé en 1978 dans les montagnes de l’Utah. Ce rendez-vous est devenu, sous son impulsion, le berceau du cinéma indépendant américain et international. De jeunes réalisateurs comme Quentin Tarantino, Steven Soderbergh ou Darren Aronofsky y ont trouvé leur premier élan. À travers Sundance, Redford a offert au septième art un espace de liberté, loin des logiques commerciales des grands studios. Cet héritage culturel est immense, à l’image de sa générosité d’artiste et d’homme.

 

 

Pourtant, derrière cette réussite éclatante, la vie privée de Robert Redford fut jalonnée d’épreuves douloureuses. Le drame fondateur, celui qui a marqué à jamais son existence, fut la disparition précoce de sa mère Martha. En 1955, alors qu’il n’avait que dix-huit ans, elle meurt à l’âge de quarante ans, des suites d’une hémorragie liée à un trouble sanguin, survenu après la perte de jumelles à la naissance. Pour le jeune Robert, ce fut une cassure irréversible. Dans une interview accordée en 2018, il confiait n’avoir jamais pu se remettre de ce départ brutal : « Mon regret est qu’elle soit morte avant que je puisse la remercier », disait-il, la voix encore nouée d’émotion. Cette blessure intime lui a laissé une impression d’injustice et de fragilité, mais elle a aussi nourri en lui une sensibilité particulière, visible dans chacun de ses rôles.

 

À peine quelques années plus tard, un nouveau drame survient. En 1959, Redford et sa première épouse, Lola Van Wagenen, perdent leur premier fils, Scott, âgé de seulement cinq mois, emporté par le syndrome de la mort subite du nourrisson. Robert n’avait que vingt et un ans, sa femme vingt. Ils commençaient à peine leur vie, il débutait sa carrière. Cette perte, il l’évoquait encore des décennies plus tard, expliquant combien un tel événement ne s’efface jamais totalement. « Cela réapparaît de diverses petites manières dont vous n’êtes même pas conscient », disait-il avec une sincérité désarmante.

 

 


 

Le destin, cruel, ne s’est pas arrêté là. En 2020, Robert Redford perd un autre de ses enfants, James, cinéaste et militant environnemental, mort à cinquante-huit ans d’un cancer rare du foie. Ce décès plongea l’acteur dans une tristesse immense, venant raviver ses blessures passées. Ainsi, au cours de sa vie, il a dû dire adieu non seulement à sa mère, mais aussi à deux de ses enfants. Peu d’hommes auraient pu se relever d’une telle succession de pertes. Mais Redford, sans jamais les oublier, a choisi de transformer ses deuils en force créatrice, en moteur de son art.

 

 

Marié depuis plusieurs années à Sibylle, de vingt et un ans sa cadette, il laisse derrière lui deux filles, Amy et Shauna. Ses proches décrivent un homme à la fois réservé et profondément humain, qui aimait la nature, les grands espaces et la simplicité loin des projecteurs. Ce lien avec la nature, hérité de son enfance passée dans l’Utah et en Californie, a guidé une grande partie de ses engagements. Défenseur de l’environnement, il n’a cessé d’alerter sur l’urgence climatique et la nécessité de protéger la planète, bien avant que ces sujets deviennent des priorités mondiales.

 

Sa vie fut donc faite de contrastes, entre lumière et ombre, entre triomphes publics et chagrins intimes. Ce mélange explique sans doute pourquoi son jeu d’acteur paraissait toujours si vrai : il n’interprétait pas seulement des personnages, il les habitait de sa propre expérience, de ses blessures, de ses espoirs. Dans Out of Africa, son regard vers Meryl Streep disait tout d’un homme à la fois fort et vulnérable. Dans L’Arnaque, son élégance masquait une part de mélancolie. Dans Jeremiah Johnson, sa solitude dans les montagnes résonnait comme un écho de sa propre quête intérieure.

 


 

Aujourd’hui, son départ laisse un vide immense. Les hommages se multiplient dans le monde entier, de la part de cinéastes, d’acteurs, mais aussi de spectateurs qui ont grandi avec ses films. Pour beaucoup, Redford restera à jamais l’incarnation du romantisme, du charisme et de la liberté. Mais au-delà du mythe, il restera aussi l’image d’un fils meurtri, d’un père endeuillé et d’un créateur qui, malgré ses blessures, a choisi de continuer à aimer et à transmettre.

 

 

Sa mort à quatre-vingt-neuf ans résonne comme la fin d’une époque, mais son héritage, lui, demeure vivant. Dans la mémoire collective, il reste l’escroc élégant de L’Arnaque, le cow-boy poétique de Butch Cassidy, le héros désenchanté de Les Trois jours du Condor. Dans le cœur de ceux qui l’ont connu intimement, il reste cet homme sensible, profondément attaché à sa mère disparue, à ses enfants, à la nature et à l’art.

 

Robert Redford s’en est allé, mais il rejoint désormais ceux qu’il a perdus et aimés : sa mère Martha, son fils Scott, son fils James. Pour ses admirateurs, l’image d’un homme enfin réuni avec ses proches apporte un peu de douceur face à la peine immense de sa disparition. Sa vie, traversée par les drames mais illuminée par une créativité inépuisable, rappelle que même les légendes ne sont pas à l’abri des épreuves. Peut-être est-ce justement cette humanité fragile qui a fait de Robert Redford une figure aussi universelle et intemporelle.