Il est l’homme qui fait valser les stades, le visage souriant de la musique classique, le maestro charismatique dont l’archet a conquis le cœur de millions de personnes. André Rieu, à 75 ans, est une icône mondiale, avec plus de 40 millions d’albums vendus et un orchestre qui transforme chaque concert en une fête somptueuse. Sa présence scénique est une promesse de joie, un monde parfait de costumes opulents et de mélodies inoubliables. Mais aujourd’hui, le roi de la valse laisse tomber le masque. Il admet enfin ce que beaucoup soupçonnaient : la vie de rêve qu’il vend sur scène est à des années-lumière de la sienne.

Derrière la façade du succès se cache une réalité bien plus sombre, faite de dettes abyssales, de problèmes de santé graves, de scandales judiciaires et d’une lutte acharnée pour maintenir à flot un empire aussi grandiose que fragile. La “confession” d’André Rieu n’est pas un mot, mais l’histoire de sa vie : une valse tumultueuse au bord du précipice.

L’abîme financier : un Stradivarius en gage

Le perfectionnisme d’André Rieu est légendaire. C’est aussi son pire ennemi financier. Pour lui, un concert n’est pas un simple récital, c’est un spectacle total. Il exige des scènes grandioses, des milliers de fleurs fraîches, des costumes dignes d’une cour royale. Il vit lui-même dans un château du 15ème siècle à Maastricht. Mais ce luxe a un coût exorbitant.

En 2008, alors que sa popularité explose, son entreprise annonce une perte stupéfiante de plus de 11 millions d’euros. L’empire vacille. André Rieu, l’homme qui génère 95 millions de dollars de revenus de tournée en 2009, est au bord de la faillite. Pour sauver sa société de production, qui emploie 130 personnes, il est contraint à l’impensable : il doit hypothéquer ses actifs, y compris son âme de musicien, son précieux violon Stradivarius de 1732, estimé à 2 millions d’euros.

Son extravagance est sans limite. En 2008, la ville de Bruxelles lui réclame 150 000 € pour restaurer la pelouse du stade Roi Baudouin, dévastée après son concert. L’homme qui fait rêver les foules est un entrepreneur qui risque tout, en permanence, pour son art.

Le réveil brutal de la santé

Pendant des années, le maestro a mené ses tournées mondiales à un rythme effréné. Mais en 2010, son corps dit stop. Il est frappé par une névrite vestibulaire, une infection virale de l’oreille interne qui détruit son sens de l’équilibre. Pour un chef d’orchestre et violoniste dont chaque mouvement est essentiel, c’est une catastrophe. Il lui est impossible de rester debout, de jouer, de diriger.

Il doit annuler des mois de performances internationales. Cet incident est un “réveil majeur”. Il réalise qu’il n’est pas invincible. Il embauche un entraîneur personnel, change son alimentation et adopte une routine d’exercice stricte pour retrouver l’endurance nécessaire. Mais les alertes continuent. En 2012, il doit annuler une tournée au Mexique à cause d’une grippe aiguë et de l’altitude de Mexico, qui met son orchestre à rude épreuve. En 2023, nouvelle alerte, et quatre autres concerts annulés. Le roi de la valse est humain, et son corps lui rappelle régulièrement sa fragilité.

Le scandale du travail des enfants

En 2015, l’image familiale et joyeuse de Rieu est sérieusement écornée. Lors de ses célèbres concerts à Maastricht, il invite un groupe d’enfants roumains, joueurs de flûte de Pan, à se produire. L’intention est bonne, mais l’administration néerlandaise est stricte : la loi interdit aux mineurs de se produire après 23 heures. Or, les enfants, âgés de 9 à 12 ans, sont restés sur scène jusqu’à minuit.

L’inspection du travail intervient. L’affaire fait grand bruit. André Rieu est accusé de violer les lois sur le travail des enfants. L’amende initiale est colossale : 236 000 €. Son équipe juridique plaide l’ignorance. Rieu lui-même se défend, affirmant que les enfants n’étaient sur scène que “quelques minutes”, principalement pour saluer le public, une “tradition festive” et non une “performance formelle”. L’amende est finalement réduite à 116 000 €, une somme que l’artiste qualifie d’”absurde”. Mais le mal est fait. Le scandale soulève un débat national sur le traitement des jeunes artistes dans le show-business.

Le passé “indécent” et la critique impitoyable

La “confession” que le public soupçonnait concerne aussi les débuts de l’artiste. Avant de devenir une star mondiale du violon, qu’il pratique depuis l’âge de 5 ans, André Rieu a brièvement tenté sa chance… dans le mannequinat. L’expérience fut de très courte durée. Il raconte avoir rencontré un photographe “un peu trop enthousiaste” qui lui aurait suggéré de “photographier ses parties intimes”. Choqué, Rieu a immédiatement tourné les talons pour revenir à sa véritable passion.

Une passion qui, si elle lui a apporté la gloire, ne lui a jamais attiré les faveurs des critiques. Pour les puristes de la musique classique, Rieu est un paria. Sa musique est qualifiée de “kitsch”, “sentimentale”, de “crossover”. On l’accuse de “popularisation” outrancière, de massacrer les chefs-d’œuvre en les simplifiant et en les raccourcissant, comme le “Boléro” de Ravel ou “L’Ode à la joie” de Beethoven. André Rieu, lui, assume. Il croit qu’il n’y a “pas de barrière dans la musique” et continue de jouer des versions symphoniques de thèmes de films comme “Titanic” ou de marches militaires. Le public lui donne raison.

L’homme derrière l’empire

Finalement, la plus grande révélation d’André Rieu à 75 ans est celle de l’homme derrière le violon. Loin d’être un solitaire excentrique, il est le pilier d’une entreprise familiale soudée. Son roc, c’est sa femme, Marjorie, une ancienne enseignante de langues qu’il a épousée en 1975. Après plus de quatre décennies, il affirme que leur secret est une “confiance à 100 %”, un sens de l’humour partagé et une liberté mutuelle.

Marjorie et leurs deux fils, Marc et Pierre, travaillent avec lui pour gérer l’empire Rieu et ses 130 employés. C’est Marjorie qui l’a soutenu dans les moments les plus sombres, mais elle a toujours tenu à garder son indépendance, refusant d’être définie uniquement par le succès de son mari.

À 75 ans, André Rieu admet que sa vie n’est pas une valse légère à trois temps. C’est une symphonie complexe, pleine de mouvements dramatiques, de dettes angoissantes, de problèmes de santé terrifiants et de critiques acerbes. Il a transformé la musique classique en un spectacle de stade, mais il en a payé le prix fort. Il a survécu à la quasi-faillite, à la maladie et aux scandales, son Stradivarius, sauvé de l’hypothèque, toujours à la main, prêt pour le prochain concert.