La revanche éclatante de Linkin Park au Hellfest

Huit ans après un passage compliqué à la grand-messe du metal, le groupe mené par Mike Shinoda et Emily Armstrong a eu la lourde tâche de conclure les festivités. Mission accomplie.

Emily Armstrong et Mike Shinoda, ici le 18 juin 2025 à Berlin, quatre jours avant leur arrivée au Hellfest. © Fabian Sommer – AP – Sipa

Au royaume des morts, il faut s’attendre à tout. Même à observer une résurrection. C’est ce qui s’est passé, en ce 22 juin, avec le concert de Linkin Park au Hellfest. Le groupe de néo-metal, de retour au firmament après sa reformation surprise l’an passé et l’arrivée de sa nouvelle chanteuse, Emily Armstrong, avait la lourde tâche de clore l’édition 2025 de l’exigeant festival organisé à Clisson (Loire-Atlantique). Un rendez-vous qui a bien failli être manqué, une date en Suisse ayant été annulée deux jours plus tôt pour raisons médicales. Si la performance de ce dimanche soir a été savoureuse, elle a surtout eu un irrésistible goût de revanche. Explications.

Pour bien le mesurer, il faut revenir huit ans en arrière. Nous sommes le 19 juin 2017 et Linkin Park est déjà tête d’affiche dans le vignoble nantais. Une programmation qui fait couler beaucoup d’encre à l’époque, d’aucuns jugeant que la formation californienne n’a pas sa place au sanctuaire du metal. Un débat très similaire à celui qui a pesé cette année sur Muse, vedette de la deuxième journée.

Le groupe alors mené par Mike Shinoda et Chester Bennington vient tout juste de sortir un nouvel album, One More Light. Si Linkin Park ne s’est jamais reposé sur ses lauriers depuis qu’il trône au sommet des charts, en changeant régulièrement de registre à chaque nouveau disque, ce coup-ci, il n’y est pas allé de main morte : cette dernière production est décidément très pop. Trop, de l’avis de beaucoup.

En 2017, des huées et des jets de projectiles

Les prestations opérées sur scène lors de cette tournée ne sont pas mauvaises, loin de là. Mais il y a un important décalage entre les nouveaux titres défendus sur scène et les incontournables qui procurent toujours autant d’émotions aux spectateurs. Le contraste est saisissant, violent d’une certaine manière. Le public ne s’y trompe pas, quitte à afficher sa désapprobation de manière inacceptable.

C’est malheureusement le cas en terres clissonnaises. Lors du rappel, l’interprétation d’« Heavy » est accueillie par des huées nourries. Gobelets et projectiles sont jetés en direction du chanteur, qui ne cache pas son agacement en retour. Il s’en ouvrira, peu après le show, sur ses réseaux sociaux.

Hell fest was fun. Had a blast watching people mosh to In the End and then flip me off when we played Heavy. I blew them kisses��

— Chester Bennington (@ChesterBe) June 19, 2017

L’incident aurait pu paraître anecdotique. Il n’en sera rien. Luttant contre une sévère dépression et des addictions depuis une agression sexuelle subie dans l’enfance, Chester Bennington se donne la mort un mois après les événements du Hellfest, le 20 juillet 2017, en pleine tournée. Le rock vient de perdre l’une de ses plus belles voix. Assailli par ses démons de toujours, profondément touché par le suicide de son ami Chris Cornell (chanteur de Soundgarden et Audioslave) deux mois plus tôt, l’ancien leader de Linkin Park a, de l’aveu de ses proches, été très affecté par les critiques sur son dernier projet musical.

« Quand ils ont fait l’album, il n’a pas été reçu de la manière dont ils pensaient qu’il allait être reçu, ou du moins de la manière dont Chester pensait qu’il allait être reçu », avait témoigné en 2020 Sean Dowdell, un ami de longue date du défunt. « Il y a eu beaucoup de négativité de la part des fans. [Chester] était tellement déprimé qu’il se prenait la tête avec des gens sur Twitter, et il s’énervait beaucoup. Ça pesait vraiment sur lui… » Toujours d’après ce précieux témoignage, l’artiste avait beau avoir des milliers de personnes pour l’acclamer et l’idolâtrer autour de lui, c’étaient les quelques sifflets et huées qu’il retenait.

Le leader du groupe de neo-métal avait 41 ans. Il a laissé derrière lui une épouse, six enfants. Et des millions de fans inconsolables.

Ovation pour les derniers titres

La suite, on la connaît. Après sept ans en sommeil, ce que l’on pensait disparu est revenu. Avec un nouvel album, de nouveaux membres – dont la géniale Emily Armstrong pour combler le vide laissé par Chester – ainsi qu’une tournée mondiale monstrueuse qui nous ramène à ce 22 juin 2025, et à la case Hellfest.

Dans la droite lignée de son concert donné en novembre dernier à Paris La Défense Arena – auquel Le Point avait assisté –, cette nouvelle version de Linkin Park a livré un show puissant et énervé aux métalleux de Clisson. À l’exception de quelques transitions un chouia poussives, le public s’est montré réceptif et reconnaissant, en tout cas dans les zones au plus proche de la scène. Certains ont tout de même dénoncé, ici et là, des problèmes de son. Mention particulière aux quatre dernières chansons jouées en rappel, « Papercut », « A Place for My Head », « Heavy is the Crown » et « Bleed it Out », redoutable concentré de nervosité et de refrains entêtants taillés sur mesure pour refermer une édition de cette grand-messe du metal.

Ce qui est intéressant à noter, en comparaison du malheureux précédent de 2017, c’est à quel point les nouveaux morceaux de From Zero ont été intégrés par l’audience. « The Emptiness Machine », « Two Faced », « Up From the Bottom », « Heavy is the Crown »… Tous ont été accueillis avec ovation par les festivaliers, certains dépassant largement la clameur déclenchée par d’autres tubes plus installés. Seul le titre « Overflow » a jeté un semblant de froid pendant son interprétation.

Plutôt statique et effacée au début du spectacle, Emily Armstrong s’est progressivement lâchée pour réveiller la bête de scène en elle. L’occasion de confirmer, une bonne fois pour toutes, qu’elle a plus que jamais conquis les fans qui, comme à Paris en novembre dernier, ont crié son nom en chœur pour la féliciter et la remercier.

Un fan transportant une pancarte en hommage à Chester Bennington, l’ancien chanteur de Linkin Park, lors de leur concert au Hellfest 2025.© Jérémy Maccaud – Le Point

Huit ans après ce qui aurait dû être sa dernière représentation en France, Linkin Park a su faire le travail pour revenir au sommet de son art. Au Hellfest, en tout cas, le contrat a été plus que rempli. Au milieu des chansons, un fan a déambulé dans la fosse avec une pancarte : « Chester Will Be Proud » (Chester serait fier). Un joli résumé de la soirée.

Linkin Park sera en concert au Stade de France à Paris le 11 juillet 2025, et au Groupama Stadium de Lyon le 16 juin 2026.