Un séisme. C’est le seul mot qui puisse décrire l’annonce faite ce vendredi 26 juillet 2025. Quinze ans après un drame que l’on pensait classé, scellé par le temps et la tragédie, le parquet de Bordeaux vient de faire voler en éclats un silence de plomb. L’enquête sur la mort de Krisztina Rády, l’ancienne compagne de Bertrand Cantat, est officiellement rouverte. Le chef d’accusation est lourd, précis, et il change radicalement la perspective sur cette histoire : “violence volontaire par conjoint ou concubins”.

Pendant une décennie et demie, la version officielle tenait en un mot : suicide. Le 10 janvier 2010, Krisztina Rády était retrouvée pendue dans son domicile bordelais. L’affaire fut rapidement classée. À l’époque, Bertrand Cantat, revenu vivre chez elle après sa libération conditionnelle pour le meurtre de Marie Trintignant, était présent dans la maison. Mais rien, selon les enquêteurs d’alors, ne permettait de remettre en cause la thèse du geste désespéré.

Aujourd’hui, tout est remis en question. Et le catalyseur de ce retournement de situation n’est pas venu des prétoires, mais des écrans. En mars 2025, la diffusion d’une série documentaire sur Netflix, “De Rockstar à tueur : le cas Kanta”, a agi comme un électrochoc. Loin d’être une simple rétrospective, cette production en trois volets a fait ce que la justice n’avait pas fait : elle a écouté, elle a cherché, et elle a trouvé.

L’impact de la série a été immédiat, réveillant une opinion publique et forçant les institutions à regarder là où elles avaient détourné les yeux. Mais le véritable coup de théâtre s’est joué en coulisses. La journaliste d’investigation et coréalisatrice, Anne-Sophie Fidan, n’avait pas tout mis dans sa série. Consciente de la sensibilité de certains éléments, elle a transmis au parquet de Bordeaux l’intégralité de ses pièces confidentielles. Des pièces que les enquêteurs de 2010 n’avaient jamais eues en main.

Et ce que ces pièces révèlent est terrifiant. Elles dessinent le portrait d’un “climat d’emprise et de harcèlement psychologique répété”. Le parquet examine désormais des témoignages inédits, des enregistrements, des correspondances privées, mais surtout, le journal intime de Krisztina Rády.

Ce journal, c’est la voix d’une femme que l’on n’avait pas entendue. Une voix qui, aujourd’hui, résonne depuis la tombe avec une clarté effroyable. Selon des sources proches du dossier, on peut y lire la chronique d’une destruction psychologique. Des mots qui glacent le sang : “Il me parle comme si je n’étais rien”. “Je dors mal, j’ai peur quand il rentre le soir”. Et cette phrase, prémonitoire et déchirante, qui prend aujourd’hui tout son sens : “Je pense que je vais mourir ici”.

Bertrand Cantat ne remontera finalement pas sur scène en 2020 - Marie Claire

Ces écrits intimes sont corroborés par des témoignages de proches, exhumés par les journalistes. Ils décrivent une femme “éteinte, isolée, contrôlée” après le retour de Cantat au domicile en 2007. Une amie se souvient : “Je voyais bien dans ses yeux qu’elle mentait” quand elle disait que tout allait bien. Un autre témoignage, capital, résume l’horreur invisible : “Elle disait qu’il ne levait plus la main sur elle, mais que ses mots faisaient plus mal encore”.

C’est bien cette “violence invisible” qui est au cœur de la nouvelle enquête. Ce que les spécialistes nomment aujourd’hui “l’emprise”, ce processus lent d’isolement, de dévalorisation, et de contrôle qui peut mener une victime à l’impensable. Des experts parlent même de “suicide assisté par la violence psychologique”, une forme de “meurtre silencieux”.

Cette réouverture d’enquête, 15 ans après les faits, pose une question fondamentale : pourquoi maintenant ? La réponse est aussi judiciaire que sociétale. En 2010, le concept de “féminicide” n’était pas dans le débat public, encore moins dans le Code pénal. Les violences psychologiques étaient largement sous-estimées, invisibilisées, reléguées au rang de “drames intimes”.

Il a fallu les vagues successives de #MeToo, la libération de la parole, pour que la société, et par ricochet la justice, change de regard. La “nouvelle sensibilité” de notre époque permet enfin de nommer ce que Krisztina Rády aurait subi. Cette enquête n’est pas seulement celle d’un homme, elle est le procès symbolique de notre “tolérance collective à la violence dans l’intimité”.

Pour Bertrand Cantat, c’est la seconde chute. Après le meurtre de Marie Trintignant en 2003, pour lequel il a été condamné à huit ans de prison, sa réhabilitation avait été un sujet de polémiques sans fin. Son retour sur scène avait divisé, choqué, indigné. L’industrie musicale, qui lui avait parfois tendu la main, se mure aujourd’hui dans un silence “embarrassant”. Comme le résumait la comédienne Adèle Haenel : “le talent n’efface pas les crimes”. L’annonce de cette réouverture vient percuter de plein fouet le “récit de reconstruction” que l’artiste, retiré de la vie publique, tentait de maintenir.

Krisztina Rady Case: Probe Reopened, Shocking New Claims

Désormais, l’enquête va devoir suivre son cours. Les investigations s’annoncent complexes. Il faudra authentifier les écrits, retrouver les témoins, caractériser les faits de “violence psychologique” et, c’est là toute la difficulté, prouver leur lien direct avec le geste de Krisztina Rády.

 

Au centre de ce drame, il y a aussi deux victimes silencieuses : Milo et Alice, les enfants du couple, âgés de 13 et 8 ans au moment des faits. Aujourd’hui adultes, leur témoignage, s’ils acceptent de parler, pourrait être “décisif”. Ils sont peut-être les seuls à détenir “la clé de ce huis clos”.

Cette affaire, qui dépasse de loin le simple fait divers, est devenue “un cas d’école”. Elle interroge les failles de notre système judiciaire, sa dépendance aux médias pour rouvrir des dossiers classés trop vite. Elle questionne notre aveuglement collectif.

Mais surtout, cette réouverture est une victoire posthume pour Krisztina Rády. Quinze ans après sa mort, sa voix, étouffée dans ses journaux intimes, est enfin entendue. L’enquête qui s’ouvre n’est pas seulement une procédure judiciaire ; c’est un devoir de mémoire. C’est l’espoir, enfin, d’une vérité complète. Comme le conclut le documentaire, Krisztina Rády, “même dans la mort, trouve enfin une voix”. Une voix portée, désormais, par une société tout entière qui refuse de se taire.