Sophia Loren, de son vrai nom Sofia Villani Scicolone, incarne sans doute mieux que quiconque la trajectoire exceptionnelle qui mène des ruines de l’Italie de l’après-guerre aux sommets étincelants de la gloire hollywoodienne. Née en 1934 à Rome, dans une salle de charité modeste, elle grandit dans un contexte de pauvreté extrême et de privations, marquée par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale qui frappaient sa ville natale de Pozzuoli. Enfant fragile et rachitique, ralentie dans sa croissance par la faim, elle semblait bien loin de l’icône de beauté voluptueuse qu’elle allait devenir. Pourtant, c’est dans cette enfance meurtrie qu’elle forgea la force intérieure et la détermination qui guideraient toute sa vie.

Privée d’un père absent, soutenue par une mère courageuse et une grand-mère inventive, la petite Sophia découvrit très tôt l’univers de la scène de manière détournée : leur salon transformé en petit cabaret improvisé pour divertir les soldats alliés. Trop jeune pour chanter ou jouer du piano, elle servait les tables avec timidité, découvrant déjà le rapport singulier entre le public et l’artiste. Cet environnement difficile façonna une enfant rêveuse qui aspirait à échapper à la misère par la beauté et l’expression artistique.

L’adolescence marqua un tournant. À quinze ans, Sophia participa au concours de Miss Italia sous le nom de Sofia Lazzaro. Si elle ne remporta pas le titre, sa beauté atypique, mélange de grâce méditerranéenne et de sensualité naissante, ne passa pas inaperçue. C’est là qu’elle croisa la route de Carlo Ponti, producteur déjà reconnu, qui devint son mentor et plus tard l’homme de sa vie. Grâce à lui, elle adopta le nom de scène qui allait résonner dans le monde entier : Sophia Loren.

Ses débuts au cinéma se firent dans de petits rôles, mais dès 1954, elle éclata véritablement à l’écran avec L’Or de Naples de Vittorio De Sica. Sa présence magnétique, sa capacité à incarner des femmes fortes, passionnées et indépendantes, firent d’elle une figure incontournable du cinéma italien. Hollywood, très vite, l’ouvrit à ses portes : Sophia donna la réplique à des monstres sacrés comme Cary Grant, Frank Sinatra ou encore John Wayne.

Mais c’est en 1962 qu’elle entra définitivement dans l’histoire, grâce à son rôle bouleversant dans La Ciociara (Deux femmes), réalisé par De Sica. En incarnant une mère tentant de protéger sa fille dans une Italie ravagée par la guerre, Sophia offrit une performance brute, sans fard, d’une intensité rare. Son interprétation lui valut l’Oscar de la meilleure actrice, le premier jamais attribué pour un rôle dans une langue étrangère. À seulement 27 ans, elle passait du statut d’enfant pauvre de Naples à celui de légende vivante du cinéma international.

La suite de sa carrière fut jalonnée de succès, entre comédies, drames italiens et superproductions hollywoodiennes. On la vit dans El Cid aux côtés de Charlton Heston, dans Arabesque avec Gregory Peck, ou encore dans Une comtesse de Hong Kong de Charlie Chaplin avec Marlon Brando. Mais c’est avec Marcello Mastroianni qu’elle forma le duo le plus emblématique du cinéma italien, partageant l’affiche dans douze films, dont Mariage à l’italienne et Une journée particulière. Leur complicité artistique et humaine séduisit des générations entières.

Sur le plan personnel, sa relation avec Carlo Ponti fut marquée par des obstacles. Leur différence d’âge, l’impossibilité initiale de divorcer en Italie, les accusations de bigamie, les démêlés fiscaux avec le gouvernement italien : tout semblait conspirer contre eux. Pourtant, Sophia et Carlo tinrent bon, s’exilèrent en France, se marièrent légalement en 1966 et eurent deux fils, Carlo Jr. et Edoardo. Leur union, qui dura jusqu’à la mort de Ponti en 2007, fut le socle intime sur lequel Sophia bâtit sa vie, malgré les sollicitations, les rumeurs et les passions qui l’entouraient, comme sa relation amicale mais ambiguë avec Cary Grant.

Au-delà de l’écran, Loren mena aussi une carrière diversifiée, publiant des livres de cuisine, lançant une ligne de lunettes et s’engageant dans des causes humanitaires. Dans les années 2000, elle ralentit volontairement son rythme, privilégiant des projets choisis. On la retrouva néanmoins dans Nine (2009), puis dans La Voce Umana (2014), court-métrage émouvant réalisé par son fils Edoardo. En 2020, elle fit un retour triomphal sur Netflix avec La Vie devant soi, rôle salué par la critique et preuve que son talent n’avait rien perdu de sa force.

Mais le temps, implacable, finit par peser. En septembre 2023, à l’âge de 89 ans, Sophia Loren fut victime d’une lourde chute dans sa maison de Genève, entraînant plusieurs fractures, dont au fémur et à la hanche. Hospitalisée d’urgence, elle dut subir une intervention chirurgicale délicate. Le monde entier, bouleversé par la nouvelle, adressa des milliers de messages de soutien. Fidèle à son tempérament combatif, Loren remercia ses admirateurs et s’engagea dans une rééducation longue et douloureuse, sans jamais perdre sa dignité.

Aujourd’hui, alors qu’elle approche des 90 ans, Sophia Loren demeure une icône intemporelle. Son histoire est celle d’une enfant pauvre devenue star mondiale, d’une femme qui a connu la faim, l’exil, la gloire, les scandales, mais qui a toujours su garder une grâce inébranlable. Pour ses fans, elle n’est pas seulement une actrice aux rôles mémorables, mais une leçon de résilience et de courage, un modèle de persévérance face aux épreuves de la vie et du temps.

Ainsi, la trajectoire de Sophia Loren incarne l’essence même de la légende : celle d’une femme qui a survécu à la guerre, triomphé à Hollywood, aimé passionnément et affronté le vieillissement avec dignité. Qu’elle marche aujourd’hui plus lentement ou qu’elle lutte contre la douleur, elle reste une déesse du grand écran, dont la lumière continue d’inspirer le monde.