Secret Story a tiré la sonnette d’alarme: Harcèlement, racisme, souffrances psychologiques – les dérives des téléréalités d’enfermement

 

Secret Story, Star Academy, Big Brother… À l’heure où ces émissions reviennent au premier plan et battent des records d’audience, les polémiques s’enchaînent. Derrière les sourires, la musique et les jeux, l’enfermement sous surveillance constante engendre une violence psychologique que l’on ne peut plus ignorer. Entre angoisse, cyberharcèlement et propos racistes, leur retour en force interroge autant qu’il inquiète.

Harcèlement, racisme, souffrances psychologiques: les dérives des téléréalités d'enfermement

La voix tremble. Dans une note vocale envoyée à 3 heures du matin au patron d’Endemol (société de production), Marianne, candidate de « Secret Story » cette année, s’effondre : « Vous m’avez détruit ma vie […] Comment j’ai pu vous faire confiance ? À cause de vous, je vais me foutre en l’air. »

Depuis sa sortie du programme, cette femme de 32 ans est la cible d’un cyberharcèlement massif. Accusée par certains internautes d’avoir harcelé deux colocataires noires, Marianne a reçu des centaines de messages de haine. Menaces de mort, insultes, attaques grossophobes, la candidate s’était confiée en larmes sur son mal-être et son envie de mettre fin à ses jours avant d’être placée en maison de repos. Une situation qui entache les programmes de téléréalités d’enfermements, accusés depuis leur création de toutes sortes de dérives.Secret Story" : déferlement raciste dans la maison des secrets - Par Clara  Barge | Arrêt sur images

Stéréotypes raciaux et montage à géométrie variable

Cyberharcèlement, détresse psychologique… que font les programmes de  télé-réalité pour accompagner les candidats?Le concept des téléréalités d’enfermement repose sur une recette simple : réunir des inconnus dans une maison isolée, les couper du monde et les filmer jour et nuit, en direct. Le tout sous l’œil complice d’un public qui peut voter, commenter et participer à l’élimination. Depuis « Big Brother » en 1999 aux Pays-Bas, ce modèle s’est exporté partout. En France, « Loft Story », puis « Star Academy » ou « Secret Story », ont connu des audiences colossales.

Mais le retour de ces deux programmes cultes en 2023 et 2024, après des années d’absence, combiné à la montée en puissance des réseaux sociaux, a profondément transformé l’essence de ces émissions. Désormais, tout ce qui se dit est épié, partagé, diffusé. Sur X, les spectateurs partagent tout au long de la journée des extraits du « live », la diffusion en direct de la vie des habitants. Pour ces jeunes téléspectateurs, le montage de la production lors des « quotidiennes » (des résumés de la journée diffusé tous les soirs) est biaisé.Le théâtre, terre d'asile pour les migrants en France

Très vite, ceux qui se nomment entre eux « les fous du live » remarquent que Romy et Anita, deux candidates noires, sont la cible répétée de moqueries et de propos déplacés. Des critiques sur leur ton et leur attitude, que certains ont traduits comme le stéréotype de l’angry black woman (la « femme noire en colère ») : « Je te trouve instable, tu me fais peur », « Tu es toujours en train de gueuler », « Elle fait le gangster ». Autant de propos tenus par Marianne et d’autres candidats, mais rarement diffusés dans les quotidiennes. Leur absence interroge sur les choix éditoriaux d’Endemol, le producteur de l’émission.

Face à la pression des internautes, la productrice de l’émission a été obligé de rappeler à l’ordre les candidats. Une première dans l’histoire de « Secret Story ». Mais le mal est fait : à leur sortie, Marianne et d’autres habitants ont été la cible d’un cyberharcèlement massif. « S’il n’y a pas de clash, s’il n’y a pas de trahison et s’il n’y a pas de gens rejetés, il n’y a rien à commenter. Si tout était tout beau, tout rose, ça ne fonctionnerait pas », fustige le blogueur Jeremstar, spécialiste de la téléréalité, interrogé par Le Point. Pour lui, la production joue sur cette ligne entre le clash et le harcèlement.

Des candidats mis à rude épreuve

Mayer, autre candidat de cette édition de « Secret Story », a abandonné l’émission après cinq semaines d’aventure. Souffrant d’hypersensibilité (son secret étant qu’il fait partie des 1% de la population mondiale à avoir plus de 134 de QI), il a admis que l’enfermement et l’omniprésence des caméras ont pesé sur son moral. « C’était une bataille avec moi-même, je m’isolais régulièrement et je culpabilisais beaucoup. C’est un tout, l’enfermement, le contexte, le fait d’être cerné de caméras. Je ne dis pas que c’est une bonne ou une mauvaise chose, c’est juste que c’est quelque chose que je ne connaissais pas avant et je n’étais pas forcément à l’aise », confie-t-il au journal 20 Minutes.

C’était une bataille avec moi-même

Si la simple notion d’être coupée du reste du monde effraie, d’autres pays ont poussé le concept à l’extrême. En 2004, l’émission britannique « Shattered » défiait ses candidats de rester éveillés une semaine. Hallucinations, crises de nerfs… Le CSA local recevra des dizaines de plaintes. Plus récemment, le blogueur Perez Hilton a témoigné de son passage dans « Big Brother UK » comme une « zone de guerre psychologique », marquée par l’insomnie, l’anxiété et le harcèlement.Secret Story, Star Academy : face au harcèlement des candidats, les productions obligées d'agir !

Au Japon, l’émission « Denpa Shōnen » avait enfermé un homme nu dans un studio pendant quinze mois. Sa seule échappatoire ? Gagner des jeux concours. Si le candidat était au courant qu’il participait à un jeu, il ne savait pas que ses moindres faits et gestes étaient diffusés en direct, sans montage. Le traumatisme fut tel que l’émission est devenue un cas d’école des pires dérives de ce type de téléréalité.

Une protection encore trop faible

Si la plupart des émissions actuelles sont revenues à un format « classique », elles imposent un entretien avec un psychologue lors du casting, qui vise à déterminer si la personne est apte à supporter une telle expérience. Un accompagnement que les candidats peuvent demander à tout moment durant l’émission, pour un entretien au téléphone.

Depuis 2001 et la première saison de « Loft Story » en France, une pièce non filmée a été exigé par le régulateur français de l’audiovisuel. Cette « pièce CSA » permet à un participant d’être mis à l’écart pour se reposer, consulter un psychologue ou simplement souffler. Mais pour certains ex-candidats, cela ne suffit pas à réparer les dégâts mentaux causés par le système de l’émission.

Marianne, visée par du cyberharcèlement, a reproché à la production de « Secret Story » le manque d’accompagnement à sa sortie, n’étant pas préparée à une telle vague de haine. Même scénario pour Ebony, finaliste de la dernière « Star Academy », victime d’un déferlement raciste sur les réseaux sociaux. À l’époque, l’affaire avait poussé de nombreuses personnalités à apporter son soutien à la jeune femme et SOS Racisme à saisir le procureur de la République.

Le retour des audiences… et des polémiques

Dans les années 2010, les téléréalités d’enfermement semblaient en fin de course. « Star Academy » s’arrête en 2008, « Secret Story » en 2017. En cause : des critiques croissantes sur leur éthique et une lassitude du public. À leur place, les formats « villa » prennent le relais : « Les Anges », « Les Marseillais », « Frenchie Shore »… Ici, les candidats sont plus libres. Ils peuvent sortir, travailler, faire la fête ou encore appeler leurs proches. Ajoutez à cela un montage maitrisé (rien n’est en direct), un climat de vacances léger et les polémiques s’amenuisent.Secret Story : un candidat emblématique disparu depuis 15 jours, ce message alarmant de ses proches

Mais à partir des années 2020, la tendance s’inverse : les formats « villa » commencent à s’essouffler, et les téléréalités à huis clos signent leur grand retour. Avec elles, reviennent aussi les tensions. Car le direct, les votes et les clashs en temps réel galvanisent une communauté ultra-engagée. Aujourd’hui, le public exerce un rôle important dans le déroulé des émissions. « Les réseaux sociaux ont clairement le pouvoir sur la production. Ils font la pluie et le beau temps d’un programme », explique Jeremstar dans Le Point.

Pour autant, les diverses polémiques amènent une interrogation. La téléréalité d’enfermement vit peut-être ses dernières heures dans sa forme actuelle ? Suite à l’affaire de harcèlement dans la dernière saison de « Secret Story », la production de l’émission a évoqué l’idée de supprimer les lives pour garder la mainmise sur le programme. Mais derrière les dérapages, il y a surtout un modèle économique qui fonctionne. Retirer les lives, c’est se priver de milliers de réactions sur les réseaux sociaux et les producteurs n’ont, aujourd’hui, aucun intérêt à stopper cette poule aux œufs d’or. Qu’on parle de moi en bien ou en mal, peu importe. L’essentiel, c’est qu’on parle de moi.