Quand l’hypocrisie et la moraline façonnent la mode vestimentaire

Les concurrents de Shein: éthique en vitrine, hypocrisie en rayon

 

Quand l’hypocrisie et la moraline façonnent la mode vestimentaire

Depuis plusieurs mois, l’enseigne à bas coût chinoise Shein concentre les critiques – pour le plus grand bonheur de toutes ses concurrentes finalement guère plus vertueuses.

Shein et l'ultra-fast fashion, révélateurs de nos hypocrisies. - FFI


Les rapports d’associations et d’ONG se multiplient pour condamner les pratiques du géant Shein et d’autres plateformes de la mode à bas-prix. Dernier en date : une enquête d’Action Aid France et de China Labor Watch, selon laquelle l’emploi d’une main d’œuvre chinoise à bas coût, des conditions de travail dégradées ou encore l’absence de droits sociaux dans les usines de production mandatées par Shein sont les conséquences d’un système qui invite à toujours plus de rentabilité. Mais en pointant du doigt Shein, on évite de mettre l’accent sur les enseignes beaucoup moins vertueuses. Les consommateurs ne méritent-ils pas des enquêtes plus objectives et mettant les idéologies de côté ?

Inefficacité des bons sentiments

Comment inciter les marques de mode tendances à faire des grandes tailles ?Qui n’a jamais vu, ces dernières années, des campagnes choc montrant des hommes et des femmes travaillant d’arrache-pied derrière des machines à coudre pour produire des vêtements destinés à habiller les quatre coins du globe ? Ces images ont pour but de sensibiliser, à raison, l’opinion occidentale quant au respect des droits du travail en République populaire de Chine. Pourtant, si les images heurtent, force est de constater qu’elles n’ont guère changé les choses. Notre société fait part d’une indignation qui ne sera que passagère puisque le lendemain, la plupart d’entre nous commandera sur Shein, Temu, Kiabi ou Amazon, la dernière paire de baskets à la mode.

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Inefficaces, ces charges à l’encontre de certaines enseignes chinoises sont par ailleurs souvent injustes. C’est un fait peu connu, mais si la « fast fashion », et plus directement l’industrie textile chinoise à travers Shein, est depuis longtemps dans le viseur des ONG, c’est pourtant elle qui a mis en œuvre un code de conduite qu’elle impose à l’ensemble de ses fournisseurs.

L’enseigne propose de nombreuses initiatives visant à l’amélioration des conditions de travail et à l’évolution des normes et des standards au sein d’un pays comme la Chine. Elle s’y oblige, pas nécessairement animée par un sens de l’éthique supérieur, mais par pur pragmatisme, car elle se sait scrutée en raison des controverses passées, présentes et à venir dans un monde où le moindre faux-pas est exploité par la concurrence et/ou par des idéologies ayant un agenda politique à respecter.

L’écologie détournée

Mais c’est en France que l’on vient porter le plus vif écho à la polémique grâce au relai médiatique et à l’influence grandissante dans le lexique commun de mots comme « résilience » et « sobriété ».  Bien sûr qu’il faut mettre tout en œuvre pour réduire l’empreinte carbone, pour veiller à ne pas exploiter davantage les énergies fossiles, bien sûr qu’il faut améliorer les conditions de travail et les droits des citoyens, qu’ils soient Chinois ou non, mais on ne pourra le faire en se basant sur des rapports tronqués et artificiels. « On voit la paille dans l’œil du voisin mais pas la poutre dans le sien… » dit l’Évangile de Luc. Ainsi, il conviendra d’éviter les interrogations fâcheuses, celles qui piquent nos sociétés plutôt que des pays lointains. Pourquoi les gens consomment-ils de la mode à bas-prix ? Peut-être parce qu’ils n’ont plus les moyens de faire autrement. Quelles raisons expliquent l’abandon du moindre projet de relance, de restauration d’une filière textile en France ?

Les vrais problèmes sont mis de côté

Songeons-nous un seul instant à ces problématiques alors que tant d’énergies, d’efforts, d’actions et même d’argent sont diligentés pour aboutir à une enquête à charge de plusieurs mois sur le « mastodonte chinois du textile ultra bon marché. » C’est la croissance, la grande responsable pour ces idéologues et bien-pensants qui estiment que les activités économiques sont inconciliables avec la responsabilité sociétale des entreprises. La sémantique utilisée est celle de la culpabilité… Messieurs les responsables de Shein, le jury révolutionnaire des Fouquier-Tinville vous condamne à la perpétuité incompressible tout comme il condamne les citoyens à adopter un comportement en phase avec leur doxa de l’éco-suicide. Pire encore, ces mêmes contempteurs du libéralisme affirment que Shein rendrait « obsolète le principe même de collection d’été ou d’hiver. » On croit rêver, ces gens-là n’auraient-ils jamais acheté pendant les soldes d’été ou… d’hiver ?

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Le « méchant capitaliste » peut proposer « des prix dérisoires grâce à l’exploitation d’une main d’œuvre invisible »… Les propos sont confondants de candeur et de béatitude. L’hypocrisie veut que ces personnes d’Action Aid France ou encore du China Labor Watch, souvent des bobos huppés des centres-villes, fassent le choix de fringues non-lavées et déchirées… Pour faire « stylé », tu comprends ? Alors on va s’employer à nourrir nos consciences de ce qui a de plus beau au fond de leurs âmes : « Travailleurs et travailleuses, unissez-vous ! Non à l’exploitation à grande échelle, à l’absence de sécurité sociale et aux discriminations de genre… » Oui, même le genre y passe dans ce rapport digne d’une fourberie de Scapin. On y précise que Shein est le 100ème plus gros émetteur de CO2 dans le monde mais on ne parle pas des 99 autres qui la précèdent. On y critique les nouveaux produits, on fait des comparaisons insolites entre une plateforme et une autre, on y stipendie la supply chain, l’existence d’entrepôts en Pologne ou en Italie. Excusez du peu mais aurions-nous encore le droit de respirer demain ?

Trois piliers sont nécessaires pour changer nos comportements et nos usages : la relance industrielle en France garantissant la reconquête du pouvoir d’achat des Français, le retour à une véritable éducation reposant sur des valeurs et des principes et la mise en œuvre d’une société de consommateurs éclairés quant à ses prochains achats, quant à ses choix, économiques, écologiques ou sociétaux. Sur ce dernier point, on serait en droit de se demander pourquoi on s’abstient de critiquer les marques françaises qui fabriquent leurs produits en Chine, ne faisant guère mieux que Shein ? On a pu l’observer, ces derniers mois, avec la polémique à propos de Decathlon dont l’un des fournisseurs employait de la main d’œuvre issue de la minorité musulmane ouïghoure particulièrement persécutée en Chine. Le silence règne. A contrario, il faudrait inviter ces fournisseurs à réviser leurs standards pour améliorer les conditions de vie de leurs salariés. Dans le grand jeu de la concurrence internationale, il serait intéressant de déchiffrer les raisons précises, cachées et obscures de ce type de rapport. Pour faire plus court, à qui profite le crime ? Une question d’une mode pas vraiment éphémère…