“Dracula” : une malédiction qui s’appelait Besson

 

Un univers gothique bourré de clichés, un érotisme jamais questionné, des poncifs à tous les étages… Luc Besson croyait adapter Bram Stoker, il signe une bien pâle copie du film de Coppola.

Quelques mois à peine après la version de Robert Eggers (Nosferatu) et dans l’attente de celle prévue par Radu Jude en fin d’année, voici donc le comte Dracula passé à la moulinette Besson : dramatiquement désincarné. L’introduction est une longue séquence d’heroic fantasy clinquante : forêt enneigée, armure de dragon d’argent, sang versé pour une bien-aimée perdue (Zoë Bleu, la fille de Rosanna Arquette). Et, curieusement, l’espace d’un instant, on y croit.

Luc Besson revisite Dracula : un retour épique et romantique au cœur des ténèbres – ActuaNews.frLe souffle du mythe semble vouloir jaillir derrière cette onéreuse reconstitution médiévale fantastique, désuète, mais charmeuse. Très vite, hélas, tout se gâte, comme frappé par un sortilège de luxe mortifère. Ce Dracula n’est pas une relecture, mais une vitrification, une adaptation empesée, sans idée ni désir, qui empile les étoffes comme des trophées.

Un remake édulcoré

Trailer For Luc Besson's 'Dracula: A Love Tale' With Caleb Landry Jones And Christoph Waltz – Punch Drunk CriticsDracula de Luc Besson (2025) - UnifranceLuc Besson situe son récit entre deux époques, le XVe et le XIXe siècle, séparées par quatre cents années de souffrance amoureuse où Dracula, incarné par Caleb Landry Jones, qui cabotine joyeusement malgré l’asphyxie ambiante, retrouve à Paris le sosie de son amour perdu. Le mythe devient prétexte à deux heures d’obsession sentimentale, réduite à l’errance d’un homme qui ne digère pas qu’on lui ait retiré l’objet de son désir.

Dracula est donc moins l’adaptation du roman de Bram Stoker qu’il ne recycle le film de Francis Ford Coppola, lequel avait déjà pris ses distances avec le texte pour faire de l’héroïne la réincarnation d’un amour sacrifié, et du comte une figure tragique, rongée de bout en bout par le chagrin. Aucune relecture du mythe donc, mais une sorte de remake édulcoré, vidé de sa fureur et de sa sensualité qu’il traque pourtant comme un forcené.

Un Dracula toxiqueCaleb Landry Jones Reveals New Details of Luc Bessons Dracula Movie and His Character's Accent - IMDb

Le comte est ici sculpté dans le même moule que celui de Gary Oldman chez Coppola : cette créature polymorphe, baroque, déchirée entre monstruosité et passion, tour à tour vieillard aux cheveux blancs relevés en chignon, aristocrate mélancolique vêtu de velours cramoisi, bête nocturne aux crocs dégoulinants et séducteur spectral. Mais le lyrisme fiévreux s’en est allé et Luc Besson, pas érotique ni gothique pour un sou, se débat dans une esthétique lustrée qui laisse de marbre. La toute première séquence du film, compilation de moments de complicité entre Dracula et sa bien-aimée, emprunte à tous les codes de n’importe quel pub pour n’importe quel produit de luxe. Ajoutez Ameno de Era sur chaque séquence, et le film y gagnerait.

Le Dracula de Besson a au moins le mérite de montrer à quel point on peut s’emparer de mythes pour en essorer sang et sel, sans ménagement. Le cinéaste semble fasciné par la figure du vampire amoureux sans jamais interroger ce qu’elle implique, notamment toute prédation qui semble s’effacer au profit d’un romantisme, répété et décrit, mais jamais filmé. On assiste alors à deux heures de jérémiades d’un homme à qui on aurait retiré le droit d’aimer. Comment ne pas se sentir mal à l’aise de voir ainsi Luc Besson filmer exclusivement l’appétit sexuel insatiable d’un ensorceleur, figure finalement bien moins tragique que hautement toxique.