Le Dernier Salut Silencieux : Comment Patrick Dupond, L’Étoile Brisée de l’Opéra, a Caché sa Mort au Monde

Mort de Patrick Dupond : sa compagne révèle les causes de son décès -  ladepeche.fr

Il y a des destins qui ressemblent à des étoiles filantes, dont l’éclat est si intense et si rapide qu’il défie toute explication rationnelle. La vie de Patrick Dupond fut précisément cela : une étoile la plus brillante de la scène française, un prodige de la danse qui a tutoyé la gravité, traversé des chutes vertigineuses et, finalement, a choisi de s’éteindre dans le plus déchirant des silences. Le danseur, l’homme, le phénomène public s’est éteint en mars 2021, et la France entière a été frappée d’un coup de tonnerre. Pourtant, derrière les hommages et les larmes, se cachait une vérité bouleversante : Patrick Dupond se battait contre la mort depuis des mois, un secret qu’il avait farouchement choisi de garder. Son dernier acte sur la scène médiatique n’aura pas été un adieu, mais une magistrale illusion de normalité.

Né pour la Scène, Élevé dans la Lutte

Patrick Dupond est né en 1959 dans le 11e arrondissement de Paris, loin des ors du Palais Garnier. Son enfance, marquée par le départ précoce de son père, fut rythmée par les sacrifices de sa mère, serveuse, et par son énergie débordante, indomptable. Comme il l’a souvent raconté, il était « incontrôlable », un enfant « tout feu et sans direction ». C’est une rencontre fortuite qui a tout changé : en apercevant un studio de danse, l’électricité de son agitation s’est cristallisée en une vocation, un coup de foudre artistique qui a déchiré les préjugés du Paris des années 60.

Sa mère, en voyant la lumière dans ses yeux, l’inscrivit, ignorant qu’elle venait de libérer un génie. Moins d’une semaine plus tard, l’instructeur comprenait qu’il ne s’agissait pas d’une simple curiosité enfantine, mais d’un enfant « habité ». Une rencontre décisive avec Max Bodzoni, ancien premier danseur de l’Opéra de Paris, scella son destin. Bodzoni, avec Claude Bessie, devint le tuteur de cette métamorphose. À seulement dix ans, en 1969, Patrick était admis à l’école de l’Opéra, début d’une formation totale, intense, et souvent douloureuse.

Le prix de son don était l’ostracisme. À l’école, il était « moqué, ostracisé pour être un garçon danseur ». Il se souvenait : « On me crachait dessus, on m’insultait. J’étais seul. Mais quand je dansais, je n’avais plus peur ». Cette solitude, cette rage, il la transforma en une présence scénique électrique. À 16 ans, il entrait dans le corps de ballet, mais refusa d’être invisible. « Dans le corps de ballet, je ne plaçais jamais ma tête comme les autres… Il fallait qu’on me voie », confiait-il. Pour Patrick, l’invisibilité était la mort ; la scène, le seul lieu d’existence véritable.

L’Étoile et la Chute de Pression

En 1976, à seulement 17 ans, le monde découvrit son nom lorsqu’il remporta la médaille d’or au prestigieux concours international de ballet de Varna en Bulgarie. Son exploit, notamment une pirouette de dix tours, était presque mythique et le propulsa au rang de phénomène international. Quatre ans plus tard, à 21 ans, il était nommé Danseur Étoile, la plus haute distinction du ballet français. Il dansait avec les plus grands, devenant le visage d’une nouvelle génération, collaborant avec Béjart, Ailey, Roland Petit. Un collègue déclara : « Quand il entrait en scène, on oubliait tous les autres ».

L’ascension ne s’arrêta pas là. En 1988, il est nommé directeur du Ballet français de Nancy, puis, à 31 ans seulement (en 1990), il devient directeur de la danse à l’Opéra de Paris. Cela aurait dû être l’apogée. En réalité, ce fut le début d’une lente désintégration. Le titre d’étoile, disait-il, était « une charge » qui coûtait « ton corps, ton temps, ta vie privée et parfois ton âme ».

Patrick Dupont, le garçon des rues, le danseur rebelle, se heurta violemment à la « forteresse de tradition » qu’était l’Opéra. Il refusait de « se plier au code silencieux et étouffant » de l’institution. Il voulait une révolution, défendant des chorégraphes contemporains, ouvrant la scène, mais l’Opéra n’était pas fait pour le changement. Il se sentait « seul » et « pas préparé » à la lourdeur bureaucratique.

La chute fut spectaculaire et controversée. En 1997, il accepte de faire partie du jury du festival de Cannes, une absence de trois jours jugée “impardonnable” par la direction. La sanction fut un renvoi immédiat. « Je méritais un blâme, pas un exil », déclara-t-il avec amertume. Juridiquement, il gagna finalement son procès aux prud’hommes, mais le coût émotionnel était irréversible : « Ils ne m’ont pas seulement retiré mon titre… ils m’ont arraché mon identité ». L’étoile, le directeur, l’homme indispensable, était devenu un paria. « J’avais été tout, et soudain, je n’étais plus rien ».

Le Crash Physique et la Résurrection dans le Feu

Comme si la blessure psychologique ne suffisait pas, le cauchemar devint physique en janvier 2000. De retour d’une mission de bénévolat après la marée noire de l’Erika (où il avait sauvé des oiseaux), épuisé, Patrick Dupont perdit connaissance au volant. Sa voiture percuta violemment une barrière sur l’autoroute entre Le Havre et Paris. Le bilan était terrifiant : 134 fractures réparties sur tout le corps (bassin, côtes, colonne vertébrale, crâne). Les médecins craignaient des lésions irréversibles ; le mot terrible de « paraplégie » était évoqué.

Pour un homme dont toute l’identité reposait sur le mouvement, c’était une condamnation à mort clinique. Mais Patrick refusa l’arrêt. Le jour où l’on amena le fauteuil roulant, il ordonna aux infirmières de le remporter. « Je me suis levé, j’ai traversé la pièce jusqu’à la machine à café… Je ne vivrai pas assis ». Ce qui s’ensuivit fut une résurrection. Avec son mentor, Max Bodzoni, ils reconstruisirent son corps, millimètre par millimètre. « J’ai toujours su que je danserais de nouveau », dit-il. « Mon corps était brisé, mais mon esprit non ! ».

Pourtant, la douleur physique laissa place à une autre dépendance. Sous morphine pour gérer les souffrances atroces, il sombra ensuite dans l’alcool pour combler le vide laissé par la perte de son identité et des applaudissements. Entre 2001 et 2004, il fut arrêté deux fois pour conduite en état d’ivresse, un drame qui fit les gros titres. « J’étais brisé dans tous les sens du terme », confia-t-il.

Rédemption par l’Amour et Derniers Éclats de Controverses

C’est en 2004, alors qu’il portait encore les cicatrices de l’addiction et des traumatismes, qu’il rencontra celle qui allait devenir l’amour de sa vie : Leila d’Arocha. Chorégraphe spécialisée en danse sacrée orientale, elle l’invita à animer un atelier. Leur rencontre, qui devait durer 30 minutes, s’étira jusqu’à trois heures du matin. « Elle voit au-delà de l’artiste, elle voit l’homme cabossé, brillant et secrètement en train de sombrer », raconta-t-elle. Pour Patrick, ce fut une résurrection affective : « J’étais en train de mourir. Elle m’a ramené à la vie ».

Ensemble, ils créèrent Fusion (2008), mêlant ballet occidental et danse orientale, une œuvre qui refusait les étiquettes. Puis, ils fondèrent une école de danse internationale à Bordeaux en 2017, conçue pour former des danseurs qui « n’ont pas peur de mêler les styles, les âmes et les histoires ». Patrick rayonnait de nouveau : « Je me réveille chaque jour avec la certitude absolue que Leila est la femme de ma vie ».

Cette nouvelle clarté fut toutefois assombrie par une controverse. En interview, Patrick Dupond s’exprima ouvertement sur son passé, qualifiant ses anciennes relations avec des hommes d’« illusions » et de « parodies de l’amour », nées, selon lui, d’un isolement affectif lié à la discipline du ballet. « Ce n’était pas réel », affirma-t-il, « c’était une façon d’éviter d’aimer vraiment ». Ses propos firent scandale, notamment auprès des associations LGBTQ+, qui y voyaient le danger d’une homophobie intériorisée. Patrick maintint sa position, insistant qu’il ne parlait que de « [s]on propre chemin… [s]a vérité, [s]on expérience ».

Le Rideau Tombe en Secret

En 2018, Patrick Dupont fit son grand retour à la télévision en tant que juré de Danse avec les stars (DALS). Pour une nouvelle génération, il était ce juge charmant, incisif, et au flair théâtral. Pour les anciens, c’était l’étoile ressuscitée, un mentor souriant et presque intact. Il redevint l’un des chouchous du public.

Ce que personne ne soupçonnait, ni les candidats, ni la production, ni les millions de téléspectateurs, c’est que sous les paillettes, Patrick Dupont se battait pour sa vie. Le mars 2021 (la date exacte étant tenue secrète initialement), la nouvelle tomba : Patrick Dupond est mort. Son entourage évoqua une « maladie foudroyante ».

La vérité, bouleversante, fut révélée plus tard par Leila d’Arocha : Patrick était mort d’un cancer du poumon métastasé. Le plus choquant n’était pas la maladie, mais le choix de la dissimulation. « Il ne voulait pas que ça se sache », confia Leila, ajoutant qu’il ne voulait « ni pitié, ni que la maladie définisse son dernier chapitre ». Il voulait « vivre pleinement, librement et avec dignité dans l’amour, pas dans la peur ».

Cette décision de garder le secret était la dernière affirmation de son contrôle sur sa propre histoire. Ayant passé une vie entière sous les projecteurs, de l’euphorie du ballet à la honte de l’addiction, il voulait pour cette fois, le silence, l’intimité. « Ce temps-là nous appartenait », dit Leila. Il continuait à faire des projets, parlait d’avenir, « il croyait en la renaissance ». Jusqu’au bout, il préserva la magie et la grâce d’un homme qui avait déjà défié la mort.

Le choc fut national. Ses obsèques à l’église Saint-Roch de Paris, l’« Église des artistes », furent un dernier hommage réunissant danseurs, chorégraphes, célébrités et ses partenaires de DALS. Patrick Dupond s’en est allé, de la médaille d’or de Varna qui a brisé son corps, à cette maladie terminale dissimulée derrière un sourire à la télévision nationale. Sa vie fut une représentation vertigineuse, douloureuse, mais inoubliable, prouvant qu’il était bien « l’homme qui a refusé d’arrêter de danser, même quand la musique s’était tue ».