« Ça ne s’est jamais fait… » : David Hallyday et le rêve brisé de la tournée « Hallyday 3 » avec Johnny et Sylvie Vartan

Johnny Hallyday et son fils David

Le temps passe, les souvenirs restent. Et parfois, ce sont les souvenirs de ce qui n’a pas eu lieu qui pèsent le plus lourd. David Hallyday, en pleine lumière avec sa tournée triomphale « Requiem pour un fou », continue de faire vivre la musique de son père. Un hommage vibrant, une “transmission” comme il le dit lui-même, qui rassemble plus de 450 000 spectateurs. Pourtant, derrière la puissance des guitares et l’émotion partagée, se cache une histoire plus intime, celle d’un projet mythique, d’un rêve familial qui aurait pu redéfinir leur histoire commune, mais qui est resté à jamais dans les limbes des “et si…”.

L’artiste, qui célèbre aujourd’hui un dialogue musical posthume avec son père, notamment en revisitant le chef-d’œuvre qu’ils ont créé ensemble, l’album Sang pour sang, s’est récemment confié. Avec la pudeur qu’on lui connaît, mais aussi une franchise nouvelle, il est revenu sur un moment précis, un projet fou qui, s’il avait abouti, aurait constitué l’un des plus grands événements de la chanson française. Un projet qui n’impliquait pas seulement un père et son fils, mais aussi la mère, l’icône, Sylvie Vartan.

Pour comprendre ce rendez-vous manqué, il faut remonter le temps. Nous sommes en 1993. Johnny Hallyday fête ses 50 ans avec un show démesuré au Parc des Princes. Un concert entré dans la légende. Lors de cet événement, un moment suspend le temps : Sylvie Vartan, son premier amour, la mère de son fils, le rejoint sur scène. L’alchimie est intacte. Le public est en délire. David est là, lui aussi, musicien accompli, ayant déjà partagé la scène avec son père. La puissance de l’image est évidente : la famille Hallyday, la dynastie du rock français, réunie.

C’est dans les coulisses de cet exploit que l’idée germe. Comme David Hallyday l’a raconté, c’est son beau-père, le mari de Sylvie Vartan, le producteur Tony Scotti, qui met des mots sur ce que tout le monde pense. « Au dîner, après le show, il m’avait dit : ‘Ce qui serait formidable, c’est que vous fassiez une tournée tous les trois !’ » L’idée est lancée. Une tournée “Hallyday 3”. Johnny, Sylvie, et David. Le père, la mère, et le fils.

Imaginons un instant la portée d’un tel projet. Ce n’aurait pas été une simple série de concerts. Cela aurait été un événement sociétal. La réunion du couple le plus mythique des années yéyé, celui qui a fait rêver la France entière, avec leur fils, lui-même devenu une star et le compositeur de génie derrière le plus grand succès de son père. C’était l’histoire d’une réconciliation ultime, non pas privée (ils étaient en bons termes), mais publique et artistique. C’était boucler la boucle de la plus belle des manières. David Hallyday, avec sa sensibilité d’artiste, l’avoue sans détour : « J’aurais adoré ».

Mais l’histoire s’écrit souvent avec des regrets. La phrase tombe, simple et lourde de sens : « Malheureusement, ça ne s’est jamais fait… »

Pourquoi ? David Hallyday ne s’étend pas sur les raisons, mais on peut les deviner. Gérer les agendas de trois artistes de ce calibre, avec leurs entourages, leurs carrières respectives, et la charge émotionnelle d’un tel retour, relevait sans doute de l’impossible. Johnny, “l’Idole des jeunes” devenu le “Taulier”, était une machine de guerre, un tourbillon permanent. Sylvie Vartan menait sa propre carrière internationale. David était en pleine ascension. Peut-être que le moment n’était tout simplement pas le bon. Peut-être que les maisons de disques n’ont pas réussi à s’accorder. Ou peut-être, tout simplement, que la complexité logistique et humaine a eu raison du rêve.

Ce regret est d’autant plus poignant qu’il s’inscrit dans la relation si particulière qui unissait David et Johnny. Une relation d’amour filial immense, mais aussi marquée par l’absence, la distance, et le poids écrasant de la célébrité. Être le “fils de” Johnny Hallyday n’était pas une sinécure. David a dû se battre deux fois plus pour prouver sa propre valeur, son propre talent. Et il l’a fait avec brio.

Leur collaboration la plus aboutie, ce fameux album Sang pour sang sorti en 1999, reste le témoignage le plus puissant de leur lien. C’est sur ce disque que le père et le fils se sont enfin trouvés, artistiquement et intimement. David a composé des mélodies sur mesure pour la voix de son père, des textes qui parlaient de lui, de ses failles, de leur histoire. Johnny y a chanté avec une justesse et une émotion rares. Le résultat ? Un diamant. L’album est devenu le plus grand succès commercial de la carrière de Johnny Hallyday.

David Hallyday se livre comme jamais sur l'absence de son père Johnny : "Le  deuil, n'

Ce triomphe de Sang pour sang rend le rendez-vous manqué de la tournée “Hallyday 3” encore plus amer. Il prouvait, si besoin était, que leur alchimie sur scène et en studio était non seulement réelle, mais qu’elle était plébiscitée par le public. Ils pouvaient le faire. Ils savaient le faire. Ils l’ont prouvé avec des duos mémorables sur scène. Mais l’ultime projet, celui qui aurait uni les trois piliers de la famille, n’a pas vu le jour.

Aujourd’hui, David Hallyday porte cet héritage avec une force admirable. Sa tournée « Requiem pour un fou » n’est pas une simple imitation. C’est une réappropriation. C’est, d’une certaine manière, la tournée qu’il n’a jamais pu faire avec son père. En unissant leurs deux catalogues, en harmonisant leurs univers musicaux, David ne se contente pas de rendre hommage ; il crée un dialogue. Il réalise, seul sur scène, ce que le projet “Hallyday 3” aurait pu être : une fusion de leurs talents respectifs, une célébration de la “transmission”.

Ce thème de la transmission, si essentiel pour David, est au cœur de sa démarche. Il ne s’agit pas seulement de chansons. Il s’agit de perpétuer une émotion, une énergie, une histoire qui le dépasse et dont il est à la fois l’héritier et le gardien. En reprenant “Sang pour sang”, il ne fait pas que chanter l’album de son père ; il chante son album, celui qu’il a écrit pour lui, de leur sang commun.

Le regret de cette tournée avortée touche à quelque chose d’universel. Qui n’a pas, dans sa propre vie, un projet non réalisé avec un être cher ? Une conversation reportée, un voyage jamais fait, un “je t’aime” dit trop tard ou pas assez fort ? La vie des Hallyday, vécue sous les projecteurs, est un miroir grossissant de nos propres vies. Le “malheureusement, ça ne s’est jamais fait” de David résonne en chacun de nous.

L’absence de cette tournée laisse un vide, un “et si” fascinant pour les fans et pour l’histoire de la musique. Qu’aurait donné cette confrontation artistique entre trois personnalités si fortes ? Quelle scénographie ? Quel accueil ? Cela reste l’un des plus grands fantasmes de la chanson française.

Mais la musique a ceci de magique qu’elle transcende les regrets. Si la tournée “Hallyday 3” n’a jamais illuminé les scènes de France, l’amour qui unissait ces trois-là est gravé dans le vinyle et dans les cœurs. L’hommage que David rend aujourd’hui à son père est peut-être la réponse la plus digne et la plus puissante à ce rêve brisé. Il ne peut pas remonter le temps, il ne peut pas créer ce trio sur scène. Mais il peut, soir après soir, seul face à son public, faire résonner leurs deux voix, leurs deux âmes, et prouver que, d’une certaine façon, la tournée continue. Et que le lien, lui, ne s’est jamais brisé.