Biyouna : Seule dans la lumière, seule dans la mort – Le message secret qui révèle la vérité de l’icône.

Le 25 novembre 2025 restera une date marquée par un paradoxe déchirant : la mort en toute discrétion d’une femme qui avait incarné l’exubérance, le rire et l’insolence joyeuse d’une génération entière. Biyouna, l’icône franco-algérienne adulée, est décédée loin des projecteurs, dans une chambre d’hôpital perdue sur les hauteurs d’Alger, à Beni Messous. L’artiste, qui avait affronté sans ciller les critiques virulentes et les tentatives de censure, a choisi de rendre son dernier souffle dans un silence absolu, une exigence de dignité qui révèle l’histoire d’un combat secret et d’une solitude farouche.

Celle qui avait osé jouer une proxénète charismatique dans Délice Paloma en 2007, soulevant autant de louanges que de controverses, a terminé sa vie là où même le tumulte de sa gloire ne pouvait plus l’atteindre. Une fin sans tumulte, laissant derrière elle une question lancinante : pouvait-on vraiment l’aimer sans vouloir la censurer, sans chercher à la contraindre dans une case ? La vérité de Biyouna, de son existence à sa disparition, fut toujours un miroir trop franc pour être ignoré.

De Bellouizdad à l’Inclassable : L’Ascension d’une Révoltée

 

Baya Bouzar, alias Biyouna, est née le 13 septembre 1952 dans le quartier populaire et foisonnant de Bellouizdad, à Alger. Très jeune, elle ressent l’appel irrésistible de la scène. À seulement 17 ans, elle se produit dans les cabarets de la capitale algérienne, et deux ans plus tard, elle danse au mythique Copacabana. Ces années passées dans les lumières crues des salles de spectacle forgeront son tempérament unique : libre, provocante, et profondément ancrée dans sa vérité.

Sa rencontre avec le réalisateur Mustapha Badie en 1973 marque un tournant. Il lui offre le rôle de Fatma dans La Grande Maison, une série télévisée qui lui apporte une notoriété immédiate dans tout le Maghreb. Rapidement, elle devient une figure incontournable de la culture populaire algérienne, mais refuse de se contenter d’un seul rôle. Elle chante, danse, improvise, fait rire et émeut, s’imposant comme une artiste complète qui bouscule les frontières sociales et artistiques.

Durant les décennies suivantes, son franc-parler, son accent typique, et sa gestuelle expressive fascinent autant qu’ils détonnent dans un paysage audiovisuel souvent formaté. Elle devient une icône de l’insoumission féminine, un symbole de liberté de ton rare à la télévision algérienne. En 2007, elle conquiert définitivement le public français avec l’album Blonde dans la case, un mélange de Châabi, pop et humour corrosif. C’est cependant son rôle marquant de Madame Algeria dans Délice Paloma de Nadir Moknèche qui la propulse à un nouveau sommet, saluée par les critiques pour sa performance d’une femme d’affaires véreuse mais attachante. Sa carrière éclatante s’est construite à contre-courant, à force de volonté et d’une parole libre qui lui a souvent valu d’être marginalisée par les institutions culturelles officielles.

Le Prix de la Liberté : Conflits et Blessures Silencieuses

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La vie de Biyouna fut jalonnée de conflits inéluctables. Son choix de se produire dans les cabarets, à une époque où cela était perçu comme « déshonorant » pour une femme en Algérie, lui valut des critiques acerbes dès les années 1970. Elle incarnait une féminité trop libre, trop bruyante, trop visible pour les éditorialistes conservateurs.

Les tensions avec le monde artistique officiel étaient constantes. Son franc-parler piquant lui a fermé plusieurs portes, culminant en 1985 lorsqu’elle fut écartée d’une tournée télévisée pour « incompatibilité de style » avec les normes nationales. À un directeur de programme, elle aurait rétorqué : « Je ne suis pas là pour réciter des slogans, je suis là pour dire la vie ». Une phrase devenue culte, mais qui lui coûta des années de quasi-disparition des écrans.

Ses rapports avec les autorités religieuses furent également tendus. En 2002, elle déclarait sans ambages : « Je crois en Dieu, mais je ne crois pas aux barbes qui veulent nous faire taire. » Cette attaque directe contre les milieux islamistes radicaux provoqua une vague de réactions violentes, allant jusqu’à des rumeurs de menaces de mort non confirmées. Même en France, son style très expressif, jugé « trop de geste, trop de voix, trop d’elle » par certaines critiques parisiennes, la plaçait hors des cases, renforçant son image d’artiste ingérable et profondément elle-même.

Sur le plan personnel, les blessures étaient plus silencieuses. Protégeant férocement sa vie intime, des proches ont évoqué des périodes de solitude profonde. Une amie a confié : « Elle riait beaucoup sur scène, mais chez elle, il y avait un silence lourd. Elle avait du mal à faire confiance. » Une solitude vécue en plein succès, une ombre sous les projecteurs.

La Dignité du Retrait : Les Derniers Actes de Résistance

 

Vers la fin des années 2010, sa santé, notamment ses problèmes respiratoires, commence à se détériorer, mais elle garde un silence absolu. Elle refuse d’être filmée dans l’ombre, insistant pour que le public garde d’elle l’image d’une femme forte. En 2022, le public apprend à demi-mot qu’elle lutte contre un cancer du poumon.

Un épisode peu connu illustre sa fierté indomptable : en 2023, elle aurait refusé un rôle dans une série Netflix sur les figures féminines du Maghreb, suite à un désaccord sur la représentation. Selon un membre de l’équipe, « Elle voulait que son personnage soit libre, pas victime. Ça ne passait pas. » Ce refus tardif fut l’un des derniers grands actes d’insoumission de sa carrière, un rappel que sa liberté artistique primait sur tout, même face à l’opportunité de visibilité internationale.

Les dernières années de Biyouna ne furent pas une retraite paisible, mais une bataille silencieuse contre un corps épuisé. Elle s’était retirée du tumulte médiatique pour vivre dans un appartement modeste à El Madania, un quartier calme d’Alger. Atteinte de complications respiratoires chroniques, elle refusait l’oxygène en continu et les hommages organisés. Elle disait, presque comme une prémonition : « Quand on a tout donné sur scène, il ne reste plus grand-chose à dire. Il faut savoir disparaître proprement. » Elle avait même refusé un projet de reprise de ses chansons en version symphonique, murmurant : « Je n’ai plus de souffle, mais j’ai encore mes silences. »

L’Ultime Silence : La Mort Solitaire et le Message Retrouvé

Mort de l'actrice Biyouna, vue notamment dans « Neuilly sa mère, sa mère !  » - Yahoo Actualités France

Avec une rigueur surprenante, Biyouna a réglé ses affaires. Son testament précisait ses dernières volontés : aucun hommage national, pas de retransmission télévisée, pas de discours officiel. Elle voulait partir comme elle avait vécu : sans permission, sans protocole.

À la fin octobre 2025, son état s’aggrave. Elle est transférée de nuit, en silence, à l’hôpital de Beni Messous, dans le service de pneumologie, à l’abri des regards. Les journalistes ne sont pas informés. Le 4 novembre, elle est admise en soins intensifs, son dossier médical faisant état d’une détérioration rapide.

Selon des membres du personnel soignant, elle ne parlait presque plus, mais restait consciente, écoutant de la musique classique arabe. L’équipe l’appelait affectueusement « Allabouna » (notre Biyouna). Elle refusait les caméras, les visites politiques, et même les fleurs. Elle exigeait que « le silence domine » et que son corps parle pour elle une dernière fois.

Le 25 novembre, à 5h43 du matin, Biyouna rend son dernier souffle. Dans une chambre semi-obscure du troisième étage, le silence fut absolu. Seule l’interruption soudaine du moniteur cardiaque a témoigné de son passage d’un monde à l’autre. Elle s’est éteinte sans présence familiale à ses côtés à ce moment précis. Sa nièce, contactée immédiatement, arriva trop tard.

Sur sa table de chevet, l’infirmière découvrit un flacon d’oxygène vide, une vieille photo en noir et blanc, une radio usée qui diffusait encore faiblement la voix d’Oum Kalthoum, et dans une enveloppe, une seule phrase écrite de sa main en arabe : « Ceux qui rient ne sont pas toujours heureux. »

Cette vérité intime, murmure posthume à ceux qui l’ont tant applaudie, a résonné plus fort que jamais.

Conformément à ses vœux, son enterrement fut d’une simplicité poignante, le lendemain, au cimetière d’El Alia. Une centaine de personnes seulement, des proches, des voisins, quelques artistes, mais aucun représentant officiel. Aucune image diffusée, aucune stèle grandiose, juste une plaque blanche gravée simplement : Baya Bouzar, 1952-2025.

Biyouna laisse derrière elle bien plus qu’un simple héritage artistique : une voix, un regard, une manière d’habiter le monde. Elle a brisé les stéréotypes de la femme arabe, âgée, drôle et libre, sans jamais s’excuser. Sa disparition est un paradoxe : une étoile s’est éteinte en exigeant le noir complet, mais son silence est devenu un écho d’émancipation qui résonne encore plus fort dans la mémoire collective.