L’Adieu Choisi : Comment Biyouna, l’Icône Algérienne, a Défendu Sa Dignité Jusqu’au Dernier Souffle

Un quartier populaire d’Alger, la voix d’une légende et le rythme endiablé des cabarets : voilà le premier souffle de Biyouna, l’artiste algérienne dont le nom résonne comme un mélange de rire insolent et de douleur retenue. Née à Bellecourt en 1952, elle a brûlé les nuits d’Alger à 17 ans, dansé au Copacabana à 19 ans, avant de devenir un visage incontournable du petit écran dans la série La Grande Maison. À l’écran, elle respirait la liberté ; dans la vie, elle la cherchait désespérément. Mais comment une femme qui avait un jour embrasé Alger et conquis les écrans a-t-elle pu s’éteindre dans un tel silence, derrière un mur si épais que même ses plus proches n’y devinaient plus la vérité ?

Aujourd’hui, pour la première fois, ce silence est brisé. Sa fille, qui a été le témoin impuissant des derniers chapitres de cette vie flamboyante, a choisi de parler. Et ce qu’elle révèle n’est pas un scandale de stars, mais une confession déchirante sur le prix de la célébrité, le poids du regard d’autrui et le combat intime d’une femme pour conserver sa dignité jusqu’à la fin. Car derrière l’icône flamboyante que la France et l’Algérie croyaient connaître, se cachait une femme fragile, blessée, tourmentée par des combats dont personne ne mesurait vraiment la violence. Le récit de sa fille change tout ce que l’on pensait savoir sur la fin de Biyouna, révélant un acte de courage d’une puissance inouïe : le choix de maîtriser son propre adieu.

L’Usure de la Lumière : Les Fissures Silencieuses de l’Icône

Les années de gloire n’ont pas épargné Biyouna. Sa fille raconte que, pendant longtemps, sa mère rentrait chez elle avec ce regard particulier, une oscillation constante entre la fierté d’avoir ému le public et l’épuisement d’avoir dû s’y exposer encore. Avec le temps, cette oscillation s’était transformée en fissure, puis en brèche. Une brèche dans laquelle s’est engouffrée la peur, la solitude et une sorte de désenchantement que Biyouna cherchait en vain à dissimuler derrière ses éclats de voix et son humour mordant.

Le temps défaisait son œuvre. Autrefois insatiable de projets, elle devenait plus hésitante, choisissait ses rôles avec une prudence qui surprenait ceux qui l’avaient connue téméraire, presque intrépide. On parlait de fatigue, mais sa fille confie qu’il n’en était rien : c’était une inquiétude diffuse qui rongeait sa mère, une peur de devenir étrangère à son propre corps, à sa propre voix, à ce monde dont les attentes devenaient trop lourdes à porter.

La crise la plus dure n’a pas été publique, mais intime, souterraine. Une fracture familiale, née de désaccords jamais réglés, avait progressivement isolé Biyouna. Ce n’était pas une rupture spectaculaire, mais un lent éloignement, qui creusait en elle une douleur plus profonde encore que celles infligées par la maladie qui s’installait déjà dans l’ombre. Pourtant, Biyouna continuait d’avancer, comme si chaque apparition publique était une promesse qu’elle se faisait à elle-même : celle de ne jamais céder.

Le Jugement du Monde et l’Insinuation de la Solitude

Derrière cette détermination flamboyante se cachait une femme qui tremblait de ne plus être à la hauteur des attentes de tous ceux qui la regardaient. Elle ressentait chaque critique comme une déchirure, chaque rumeur comme une trahison. L’avènement des réseaux sociaux, souvent cruels avec les femmes de sa génération, ne lui laissait aucun répit. On commentait son âge, son apparence, jusqu’à sa voix, cette voix qui avait été son arme, son refuge, son identité. Lorsqu’elle lisait ces mots blessants, elle restait longtemps silencieuse, presque figée, comme si elle tentait de comprendre comment le monde était devenu si dur avec celle qui avait tant donné.

C’est dans cette fragilité grandissante que la solitude s’est insinuée. Pas la solitude choisie, mais celle qui vous enveloppe sans prévenir et vous sépare doucement de tout. Sa fille se souvient de soirées entières où Biyouna restait assise près de la fenêtre, les lumières d’Alger se reflétant dans ses yeux. On aurait dit qu’elle cherchait quelque chose qu’elle avait perdu, peut-être la jeune femme de 17 ans qui chantait sans peur dans les cabarets, peut-être simplement un apaisement que la vie ne lui avait jamais vraiment offert.

Les signes de retrait se sont multipliés : elle refusait des invitations, annulait des apparitions, répondait brièvement au téléphone. Sa fille voyait la vérité se dessiner : les gestes devenaient plus lents, les nuits plus courtes. Il lui arrivait de s’arrêter au milieu d’une phrase, oubliant ce qu’elle voulait dire. Ces détails, insignifiants pour le public, étaient pour elle autant d’avertissements qu’elle refusait d’admettre.

Le Pacte de la Dignité : “Je veux choisir ce que je montre”

La crise la plus violente n’a pas été physique, elle a été émotionnelle : une crise de dignité, une crise du regard. Biyouna avait peur d’être vue dans sa vulnérabilité, peur d’être réduite à ce que la maladie faisait d’elle. Elle qui avait tant façonné son image de femme forte redoutait par-dessus tout que le monde contemple sa fragilité. Alors elle a choisi le silence, un silence lourd, presque sacré, qui aujourd’hui encore intrigue autant qu’il bouleverse.

Tout a basculé un soir où, selon sa fille, elle avait tenté de se lever trop vite, avait vacillé et manqué de tomber. Ce geste infiniment banal avait pourtant déclenché en elle une prise de conscience brutale : l’idée de se voir s’effondrer, de ne plus maîtriser son corps, l’avait bouleversée plus que la douleur elle-même. L’effroi n’était pas la chute, mais le regard que les autres porteraient sur elle si jamais ils la surprenaient vulnérable. Elle ne supportait pas l’idée d’être vue dans cet état.

Ce soir-là, elle est restée assise longuement, puis a glissé d’une voix grave : « Je veux choisir ce que je montre. Je veux décider de ce que je laisse derrière moi. » Cette phrase marqua un tournant. Ce fut l’instant où Biyouna admit qu’elle ne pouvait plus lutter frontalement contre ce qui la rongeait. Elle pouvait encore affronter la douleur, mais pas la perte de contrôle.

À partir de ce jour, elle commença à organiser sa vie autrement. Elle sélectionnait ses apparitions avec une précision chirurgicale, évitant toute situation où son corps pourrait la trahir. Lorsqu’elle acceptait un projet, elle exigeait que les éclairages soient adaptés, que les répétitions soient espacées, que les prises soient limitées. Certains y voyaient un caprice de star ; sa fille y lisait une tentative désespérée de maintenir vivante la femme qu’elle avait toujours été.

La Confession Secrète : L’Adieu Refusé à la Souffrance

Ce fragile équilibre se fissura peu à peu lors d’un tournage en France, où elle oublia une réplique qu’elle connaissait depuis des semaines. Les mains tremblantes, elle ne parvenait plus à retrouver le fil. Ce jour-là, quelque chose céda en elle. Le soir même, sa fille la retrouva dans sa loge, assise face à un miroir où elle semblait ne pas se reconnaître. Elle avait posé le script sur ses genoux et murmuré : « Si je continue ainsi, je vais disparaître deux fois : une fois pour eux et une fois pour moi. »

C’était une confession déchirante, mais aussi un aveu d’une honnêteté rare. Biyouna comprenait que la scène qui l’avait nourrie toute sa vie était désormais devenue un terrain glissant. Elle prit une décision radicale : elle annonça à sa fille qu’elle voulait cesser les tournages jusqu’à nouvel ordre, peut-être pour toujours. Ce n’était pas une retraite officielle, mais une suspension de tout ce qui exigeait d’elle une force qu’elle ne pouvait plus garantir.

Mais la vérité la plus bouleversante fut découverte plus tard. Un matin d’hiver, sa fille découvrit une enveloppe soigneusement pliée dans un tiroir. À l’intérieur, une lettre écrite d’une écriture irrégulière, presque tremblante. Les mots qu’elle y découvrit furent comme un coup de tonnerre, une révélation qui expliquait tout ce qui n’avait pas été dit : « Pardonne-moi de partir ainsi, j’ai peur de devenir une charge pour ceux que j’aime. Je veux partir avec ce qu’il me reste de force. »

Cette lettre était la confession d’une femme qui avait décidé de reprendre le contrôle de son destin. Ce n’était pas un adieu, mais une justification, une tentative maladroite mais sincère d’expliquer pourquoi elle avait tant insisté pour cacher la vérité, pourquoi elle avait refusé d’admettre la gravité de sa condition.

Biyouna, consciente que sa fille avait découvert la lettre, parla alors avec une franchise totale. Elle expliqua qu’elle avait pris une décision irrévocable : elle ne voulait plus d’acharnement thérapeutique, plus de traitement qui la maintiendrait dans un état qu’elle jugeait indigne. Elle voulait se retirer non pas pour mourir, mais pour vivre la fin de sa vie selon ses propres termes, sans compromis, sans mise en scène. Cette décision, qui aurait pu paraître dure, résonna au contraire comme un acte de courage, un refus de se laisser déposséder de sa propre histoire.

L’Héritage de la Sérénité : “Je ne veux plus survivre, je veux vivre”

 

Les jours qui suivirent sa confession furent étrangement lumineux. Comme si un poids immense avait quitté les épaules de sa mère. Elle retrouvait un calme qu’on ne lui connaissait plus. Elle parlait moins, mais ses mots semblaient pesés, presque sculptés. Elle cherchait à transmettre quelque chose non plus par ses rôles, mais à travers sa propre vie, sa manière d’affronter l’inéluctable.

« Je me suis battue longtemps contre ce qui n’avait pas besoin d’être combattu », lui dit-elle un jour, d’une voix apaisée. « La vie ne nous demande pas d’être forte tout le temps, elle nous demande seulement d’être vraie. » Biyouna comprenait que le courage consistait parfois à renoncer, à accepter, à déposer les armes.

Finalement, un jour, alors que le vent soufflait doucement sur les rideaux de la chambre, Biyouna prononça une phrase que sa fille n’oubliera jamais : « Je ne veux plus survivre, je veux vivre, même si c’est pour peu de temps. » Cette phrase simple contenait toute la révolution intérieure qui avait eu lieu en elle. Elle ne cherchait plus à prolonger la vie à tout prix, elle cherchait à lui donner un sens, à habiter chaque instant avec une intensité nouvelle.

Lorsque le dernier souffle de Biyouna s’est mêlé au silence, ce n’est ni la douleur ni la peur que sa fille a retenue, mais cette paix nouvelle qui illuminait encore son visage. Après tant d’années à lutter contre le regard du monde, elle s’était enfin accordé le droit d’exister simplement, d’être elle-même jusqu’au bout. Sa vie n’a pas été parfaite, mais elle a été vraie, vibrante, imparfaite et profondément humaine. Et peut-être est-ce là la plus belle leçon qu’elle nous laisse : apprendre à accueillir nos fragilités comme des forces, à faire la paix avec nos histoires, à aimer sans retenue ce que la vie nous offre encore.