Il y a des interviews qui ressemblent à des exercices de communication convenus, et il y a des moments de vérité. L’entretien fleuve accordé par Sarah Knafo à “Frontières” appartient sans conteste à la seconde catégorie. Pendant près de deux heures, celle que l’on présente souvent comme l’éminence grise ou le cerveau technique de Reconquête a fait tomber le masque de la “techno”. Loin de l’image froide de l’énarque ou de l’inspectrice de la Cour des comptes, c’est une femme politique iconoclaste, passionnée, et armée d’une vision radicale qui s’est révélée.

Elle a parlé de tout. De l’Union européenne qu’elle juge “liberticide”, de son soutien assumé à Donald Trump, de sa passion surprenante pour le Bitcoin, et même, dans un moment de grâce inattendu, de sa rencontre surréaliste avec l’écrivain Milan Kundera. Sarah Knafo n’est pas venue pour plaire, elle est venue pour convaincre. Et sa méthode est simple : un diagnostic sans concession et des solutions qui s’affranchissent de tous les tabous.

L’Union Européenne : Du “Goulag Numérique” à l’ “UERSS”

Son premier engagement politique, elle le rappelle, fut “souverainiste”. Et cette fibre n’a visiblement pas disparu, bien au contraire. Son expérience de députée au Parlement européen semble n’avoir fait que confirmer ses pires craintes. Quand on lui parle des critiques sur l’UE, elle répond que les gens “ont entièrement raison”.

Mais là où le discours devient saisissant, c’est lorsqu’elle aborde les questions de liberté. Elle dénonce avec une férocité rare le projet “Chat Control”, ce plan de surveillance de masse des conversations privées, au prétexte de lutter contre la pédopornographie. “L’objectif est incritiable”, concède-t-elle, avant de dénoncer le moyen : “On va espionner toutes les conversations de tout le monde”. Elle craint une dérive : commencer par la pédopornographie, puis ajouter le terrorisme, puis “l’extrême droite”.

Elle n’hésite pas à parler de “dérive dictatoriale”, de “1984 d’Orwell”, et d’un “sentiment de toute-puissance” à la Commission. Elle va jusqu’à utiliser le sobriquet que la sphère libertarienne donne à l’Union : “UERSS”. Elle fustige le DSA (Digital Service Act), une “plateforme de censure” qui oblige les réseaux sociaux à modérer, alors même qu’avant, l’UE se cachait derrière leur statut privé pour justifier la censure. Pour elle, le continent de la liberté d’expression est devenu celui qui menace d’interdire Twitter s’il ne censure pas assez.

Trump, le “Laboratoire” qui prouve que c’est possible

L’un des moments les plus controversés de l’interview est sans doute sa défense de Donald Trump. Alors que beaucoup à droite ont été “lâches”, elle assume. Non, Trump n’est “pas notre grand frère, pas notre modèle, pas notre chef”. Ce serait “absurde”. Pour elle, Trump est un “laboratoire”.

Il est la preuve vivante que “la politique peut encore avoir un impact sur le réel”. À une époque marquée par le “tout est foutu”, le “on ne peut plus rien faire”, Trump a montré, selon elle, que le changement était possible. Elle cite deux exemples. D’abord, la lutte contre le wokisme : elle affirme que sa seule élection et son bras de fer avec des institutions comme Harvard ou des entreprises comme Disney ont provoqué un “reflux” de cette idéologie, y compris en France.

Ensuite, et c’est là le point crucial, l’immigration. “En 9 mois au pouvoir, il a réussi non pas l’immigration zéro, mais l’immigration négative. 1 million et demi d’immigrés en moins”. Pour Knafo, c’est la preuve que la volonté politique, lorsqu’elle est appliquée, fonctionne. Le jour de son investiture, il n’a pas fait de “symbolique” à la Macron sous le Louvre, il a “signé 30 décrets”. C’est cette efficacité qu’elle admire.

La Révolution Bitcoin et l’Esprit de Conquête

Si vous pensiez que Sarah Knafo était une conservatrice classique, attendez de l’entendre parler technologie. Elle défend le Bitcoin avec une ferveur quasi philosophique. Pour elle, c’est “quelque chose d’extrêmement positif”, une “réponse” nécessaire face aux “possibilités de contrôle” incarnées par des projets comme l’euro numérique, qui permettrait de “couper les vivres” aux dissidents, comme au Canada lors des “convois de la liberté”.

Elle raconte la stupeur dans la sphère “Bitcoin” (qui voit l’UE comme “l’antre du mal”) lorsqu’elle a fait un discours au Parlement pour féliciter le Salvador d’avoir constitué une réserve stratégique en Bitcoin. Elle va plus loin : la France, avec son “atout nucléaire majeur”, pourrait utiliser ses “surplus” d’énergie pour “miner du Bitcoin”. Une proposition de “science-fiction” aujourd’hui, qui lui semble pourtant “le sens de l’histoire”.

Cette vision s’inscrit dans un “esprit de conquête”. Elle ne veut pas seulement la nostalgie, elle veut que la France redevienne “un champion international”. Elle lie le soutien des milliardaires de la tech (Elon Musk, Peter Thiel) à Trump à cette idée : ils ne lui ont pas seulement donné de l’argent, ils lui ont permis de passer d’un discours de “nostalgie” (2016) à un discours de “conquête” (2024).

Le Plan Choc : “L’Immigration Négative”

Sur l’immigration, Sarah Knafo abandonne le slogan “immigration zéro”. Elle parle désormais d’ “immigration négative”. Elle est convaincue que “tout est foutu” est le nouveau “il ne se passe rien”. La bataille de la lucidité est gagnée, commence celle contre le “découragement”.

Elle veut donc du concret. D’abord, “fermer le robinet”. Cela passe par des frontières physiques. Elle balaie l’argument des “bouchons” d’un revers de main, rappelant qu’on a inventé le “télépage” et que l’Allemagne ou même la France de François Hollande ont rétabli des contrôles sans “quitter l’Europe”.

Ensuite, elle s’attaque aux 500 000 entrées légales par an. “Ce ne sont que des bouts de papier remplis par des fonctionnaires dans des préfectures. Il suffit de leur demander d’arrêter”.

Enfin, l’inversion des flux. Elle parle de “renvoi d’étrangers et de doubles nationaux coupables de délit, de crimes ou au chômage depuis plus de 6 mois”. Elle évoque la “déchéance de nationalité” pour ceux qui sont “surreprésentés […] dans les crimes et les délits”. C’est ce plan, chiffré, qui permettrait selon elle d’atteindre cette fameuse “immigration négative”.

La Rencontre Surréaliste avec Kundera

Mais l’instant le plus fascinant de cet entretien est peut-être le plus personnel. Interrogée sur la littérature, elle raconte son amour pour Michelet, pour le “récit national” glorieux. Puis elle parle de Kundera, et de son livre “L’Occident kidnappé”, qui lui a fait prendre conscience que les grandes nations, comme la France, “savaient maintenant qu’elles sont mortelles”.

Elle raconte alors une anecdote incroyable. Jeune étudiante, déprimée après avoir lu “La vie est ailleurs”, elle marche dans Paris et tombe sur… Kundera lui-même, rentrant chez lui. Paralysée, elle est poussée par son ami à lui faire signer son livre. Elle l’aborde. Sa femme, Vera, lui demande son prénom. “Je m’appelle Sarah”. “Avec un H ?”, demande Vera. “Oui”. “Dans ce cas-là, venez avec moi”.

Elle monte. Kundera lui demande son nom. “Sarah avec un H ? Mais ça alors ! Vera ! Vera ! Dans quel livre est-ce que j’ai parlé de Sarah ?”. Et c’est Sarah Knafo, l’étudiante, qui doit lui rappeler la référence dans “Le livre du rire et de l’oubli”. L’écrivain, ému, lui dit : “Vous voyez, vous vous souvenez alors que moi, j’ai tout oublié”. Un moment suspendu, d’une force littéraire pure, qui en dit long sur la complexité du personnage.

De l’ “UERSS” à Milan Kundera, de Donald Trump au minage de Bitcoin, Sarah Knafo a livré une partition déroutante. Elle a prouvé qu’elle était bien plus qu’une conseillère technique. Elle est une idéologue au sens propre : une femme porteuse d’une vision du monde, articulée, radicale et prête à la conquête.